LE PURGATOIRE
OU LES VERTUS DE LA SOUFFRANCE
Antoni Guerra le jeune (1666-1711) Les Ames du Purgatoire
Depuis longtemps je m'interroge sur l'institution que l'Eglise nomme le Purgatoire. Elle l'a formulée dans deux conciles (Florence et Trente), en faisant référence à la Tradition.
Elle ajoute que, de tous temps, elle a honoré la mémoire des défunts en offrant des suffrages en leur faveur afin d'écourter leur séjour dans ce « feu purificateur », pour débarrasser l'âme du défunt de certaines fautes et ainsi des peines qui leur sont attachées. Etant bien entendu que les péchés dits mortels mènent à la damnation de l'enfer, « la fournaise du feu éternel » 'Mt 25,41)
Ce qui est difficile d'admettre dans les définitions précédentes de l'Eglise c'est qu'elle propose aux fidèles, par des prières,des messes, des pèlerinages, des dons d' « écourter » le séjour des âmes au purgatoire.
Oublierait-on que lorsque le défunt « rend son âme à Dieu » il entre dans l'Au-de-là où il n'y a plus d'hier,ni d'aujoud'hui, ni de lendemain et que c'est l'immobilité de l'éternité ? Il n'est pas question, dans ce domaine, ni d'allonger, ni surtout d'écourter cet infini de l'Au-delà qui n'est pas mesurable.
Personne ne nous a encore instruit de l'économie de « l'autre monde », difficilement envisageable mais nous pourrions imaginer toutefois, selon les capacités de notre esprit, que nous accomplissions au bénéfice de nos défunts ou que nous ayons accompli ou que nous accomplirons dans l'efficacité de l'éternité C'est à dire que les effets des prières, des messes, des pèlerinages, des dons, tout cela offert dans les différentes dimensions de notre temps ( présent, passé ou futur) se réaliserait quand même pour le compte du bénéficiaire dan l'immuable intemporalité.
Mais, diront certains, pourquoi discutons-nous des sanctions plus ou moins drastiques alors que nous ignorons l'existence de ce qui existe au-delà ?
Mais c'est une question qui se pose pour les chrétiens qui ont conscience de leur tare du « péché originel » et de la liberté de décision qui nous a été donnée dans le choix de nos actes et donc de notre responsabilité.
Chrétiens ou non, tous les hommes ont conscience que la faute doit être sanctionnée et la vertu récompensée, ce qui, dans les religions,amena l'idée d'un lieu pour punir les malfaisants et d'un autre pour accueillir et récompenser ceux qui se sont bien comportés.
Certains chrétiens, inconditionnels optimistes, déclarent que Dieu étant souverainement bon ( ne dit-on pas le Bon-Dieu?) aucune âme ne serait damnée en enfer et ne serait purifiée dans un purgatoire . Ils oublient les déclarations de Jésus, lors de son séjour parmi nous qui nous avertit qu'il était certes un bon pasteur et un bon père, même pour les « enfants prodigues » mais qu'en tant qu'organisateur du séjour dans l'Au-delà, il serait impitoyable pour « l'invité aux noces » qui se présenterait, le jour venu,non revêtu de la « robe nuptiale » Celui-là serait rejeté « dans les ténèbres extérieures, dans la Géhenne, là où il y a, pour l'éternité, des pleurs et des grincements de dents ».
Tant du point de vue des lois naturelles que de celles de religion il n'est pas question d 'éluder la notion de justice . Dieu, moins que quiconque ne peut pas, malgré son immense bonté, ne pas satisfaire à ses exigences. Si toute faute mérite sanction, tout pardon ne s'obtient que par compensations.
Le Catéchisme de lEglise catholique déclare : « Certaines fautes peuvent être remises dans ce siècle mais certaines autres dans le siècle futur. » Cette déclaration n'est pas très explicite. Cette « justification » d'ici-bas serait une partie du purgatoire. A mon avis, elle pourrait le comprendre dans sa totalité.
Cette idée m'est venue à la lecture de « La Saison en enfer » de Rimbaud. Jel'ai déjà signalé, en mai 1996, dans une conférence sur ce poète.
Quand, à la fin de ses errances (dans tous les sens du terme) il prenait conscience de subir une autre vie, il se trouvait dans un au-delà de lui-même où il jugeait son ancienne existence C'était une auto-punition qui le rabattait au niveau des bêtes, se voyant enfermé dans l'enfer des démons. Il n'était quand même pas complètement perdu. Parfois il s'accrochait à un souvenir : « Comme jeanne d'Arc! » s'écrie-t-il comme sous le coup d'une conviction . Il se voit contemplant la Vierge Marie ou répondant aux sourires des anges mais ce n'était que des illusions, il replonge dans l'horreur de sa vie ancienne, décrivant ses tourments de damné, ses désespérances puis, par-à-coups, apparaissent, au-dessus de lui, des éclaircies de ciel bleu.
Rien d'étonnant que, quelques années plus tard, sur son lit d'agonie à Marseille, il se soit déchargé, à l'aumônier de l'hôpital, d'une si bouleversante confession. Celui-ci avoua à la soeur d'Arthur, Isabelle, n'avoir jamais entendu de telles professions de foi de la part d'un pénitent.
Alors que je commençais cette relation sur le purgatoire, je découvrais ,dans la biographie de René Bazin, la vie tumultueuse d'un autre converti ; Le Père Charles de Foucault.
A peine avait-il reçu le choc de sa conversion que cet ancien officier de cavalerie, amoral et noceur, choisissait de vivre en reclus dans le Sahara et de se refaire une vie à rebours de la précédente. On aurait dit qu'il avait le sentiment de devoir se refaire une vie à rebours de la précédente. De devoir remonter, le plus péniblement possible, l'ancien parcours où il s'était prélassé dans son orgueil et sa vanité et dans la recherche du plaisir. Pour cela il explorait autour de lui, cette fois, ce qui pourrait l'humilier et le faire souffrir dans sa chair. Ce n'était pas, certes, une complaisance de masochiste mais comme un besoin, sur ce même chemin, de chercher, cette fois, la voie la plus étroite, de préférer les épines aux roses, de demander à la douleur d'être pour lui une purificatrice.
Ces attitudes de « convertis » du monde religieux se retrouvent, certes, bien atténuées, dans le milieu laïc. Je choisirai pour mieux faire ressortir les contrastes le destin d'André Gide.
Il est d'abord été élevé dans une ambiance chrétienne où le protestantisme a posé davantage sa marque d'intransigeance et de rigueur Quand il est lâché dans le monde, par une réaction naturelle, le jeune Gide ( il a 25 ans) se libère des contraintes physiques et morales qui l'enserraient dans des interdits. Pour justifier ce relâchement, il se dira en recherche d'une « ferveur », ce qui séduira le jeunesse d'alors qui répondra aux invites lyriques, enveloppées dans un style des plus envoûteurs, de ces « Nourritures terrestres », fêtes orgiaques célébrées dans des rites plus ou moins sacrés. Bien que je fusse, à cette époque, élève des « pères » je m'y délectais avec la complicité de mon jeune professeur de lettres .
Une quinzaine d'années plus tard s'opéra chez Gide une sorte de « conversion » qui le rendit plus exigeant et qui le ramena presque à l'éthique du protestantisme de son origine. J 'ai suivi avec une curiosité passionnée la nouvelle progression de cet ancien hédoniste et j'étais ému de l'ascèse de ses jeunes héros de « La Porte étroite » et de leur chasse spirituelle.
Mais ce que je garde surtout par devers moi, comme un précieux indicateur c'est son : « Suivre sa pente pourvu que ce soit en montant. » dont je fais volontiers ma devise
Il semble que ce soit opéré chez ce poète-philosophe, bon gré malgré, une purification, un purgatoire qui lui a donné une autre personnalité, une plus noble mémoire et qu'il soit devenu un modèle à imiter. C'est pour cela que, volontiers, je l'évoque à côté de saints personnages
On confond souvent la Souffrance avec le Mal dont la définition est d'être à l'opposé du Bien . Pour la juger, cette souffrance, il faut se rapporter à Celui qui fut l'incarnation de Dieu sur terre, le Christ-Jésus. Il est dit de lui qu'il accepta toutes les conditions humaines sauf celles de faire le Mal. « Qui me convaincra de péché ? »lança-t-il à ses adversaires qui voulait le faire passer pour une incarnation du démon. Mais il connut principalement de la souffrance ses affligeantes conditions et ses tourments.
Il en a été la preuve au Jardin de Gethsémani, la veille de sa passion et de sa mort. Ces moments furent sans doute les pires de sa passion car la partie « homme-homme » lutta avec la partie « homme-Dieu » (le combat de jacob avec l'ange) avant d'accepter son rôle de rédempteur.
Il s'était retiré solitairement dans une partie du jardin alors qu'à quelques pas ses disciples s'étaient endormis. Il était bien seul à devoir supporter la proposition que lui présentait son Père, de devenir le support de tous les péchés du monde, présents, passés et futurs .Devant l'énormité de la tâche sa capacité humaine frémit d'horreur et refusa d'abord le rôle de l'endosser : « Mon père, si vous pouvez éloigner ce calice de moi... »mais l'effrayant spectacle insistait et imposait lourdement sa présence. C'est alors que le Christ sentit qu'il se trouvait au delà de ses forces humaines et que cet effort se manifesta par une suée de sang .
il voulut s'assurer de l'aide en rejoignant les disciples mais ceux-ci étaient toujours endormis. En plus du fouaillement des péchés qui l'accablaient il devait subir la lourdeur de l'indifférence de ses proches. C'est alors, est-il écrit,qu'un ange intervint du ciel pour le réconforter afin qu'il pût assumer sa tâche présente et la suite dramatique du calvaire.
Avant même d'avoir été traîné devant les tribunaux juifs et romains, d'avoir été flagellé, couronné d'épines et affublé d'une dérisoire pourpre royale et d'avoir été présenté par Pilate comme image dérisoire de l'homme: « Ecce Homo ! », Jésus avait déjà bu toute l'amertume du calice de la souffrance humaine.
Alors que j'utilise le terrifiant spectacle de l'agonie du Christ pour illustrer le purgatoire -purificateur, c'est justement le seul homme qui n'avait pas à être purifié de quoi que ce soit. Chez tout humain et même chez les plus saints ce « purgatoire » serait plus ou moins justifié, ici la souffrance s'acharnait à purifier la plus évidente innocence . Il en est de même d'une autre personne qui,elle aussi, a reçu le titre de : « Notre Dame des sept douleurs », la Sainte Vierge Marie, dont son titre d'Immaculée la préservait de toute sanction du péché originel. C'est pour cela que les chrétiens qui rechignent, par peur de « mariolatrie », de lui donner le titre de co-rédemptrice, la frustrent d'un de ses plus beaux fleurons.
En magnifiant la souffrance et son éventuel instrument qu'est le purgatoire on découvre à celle-ci des valeurs qui, pour beaucoup,apparaissent plutôt négatives et qu'ils s'appliquent plutôt à occulter. Elles sont repoussées en réaction instinctive de notre nature mais qu'elles soient imposées par l'intéressé lui-même et elles finissent par purifier et même par annoblir.
La souffrance et la douleur sont souvent nécessaires à notre comportement et parfois à notre survie . La médecine intervient même auprès de ceux qui en sont démunis. Certains risquent la calcination s'ils n'éprouvent pas la sensation de brûlure qui,elle, éloigne du danger du feu. D'autres mourraient d'inanition si les douleurs de la faim ne les obligeaient pas à se nourrir ou alors se noieraient si l'immersion ne déclanchait pas les malaises de l'étouffement.
Ce qui est vrai dans le domaine physique l'est également dans le domaine moral. Combien d'enfants se livreraient à toutes sortes d'infractions et de délits s'ils ne craignaient pas la correction des parents et des maîtres. Certaines grandes personnes ne demeurent dans la bonne conduite que par « la peur des gendarmes ».
Nous avons vu que dans la religion la souffrance et la douleur sont souvent des moyens de sanctification. Elles produisent également dans les arts des occasions de dépassement.
En considérant seulement notre propre littérature on peut signaler, à des époques charnières, des oeuvres caractéristiques dans ce sens.
Un de nos premiers monuments littéraires est la Chanson de Roland. Elle est née d'une trahison du noble Ganelon que la colère avait dévoyé, de la mort du neveu de Charlemagne, premier souverain de l'Europe et du massacre au,col de Roncevaux, de l'arrière-garde de la presque invincible armée franque. De cette catastophe est née la célèbre chanson de geste qui a marqué les imaginations et que les poètes ont magnifié :
« ...En plein midi il y a grandes ténèbres
Plusieurs disent : « C'est la fin de tout
C'est la fin du siècle présent...
Ils ne savent pas, ils ne disent pas vrai
C'est la douleur pour la mort de Roland....
Oui, c'est une bien grand douleur qui a inspiré le trouvère à composer cette épopée.
A l'époque classique où le « théâtre françois » ouvrait, pour le public des « honnêtes hommes », ses plus beaux spectacles, une des premières pièces, le Cid de Corneille, inspirait le tout-Paris à « avoir pour Chimène les yeux de Rodrigue. » C'était l'histoire d'un drame où l'amant est tiraillé entre ses devoirs de venger un père outragé et son regret de perdre sa bien-aimée.
Au siècle du romantisme, un des plus tendres poètes, Lamartine, évoque une nuit de navigation en barque sur un lac. Dans d'harmonieux alexandrins
il compare ce glissement sur l'eau à l'irrémédiable fuite du temps:
« Laissez nous savourer les rapides délices
Des plus beaux de nos jours »
Et il conclut :
« O lac! rochers muets! grottes! forêts obscures
Gardez de cette nuit, gardez, belle nature
au moins le souvenir"
C'est encore la souffrance, même si elle n'est là que mélancolie, qui inspire ces si beau vers.
A l'avènement du « Parnasse » surgit celui qu'on considère comme un des plus grands poètes de notre littérature: Arthur Rimbaud. Il n'a que 17 ans quand, présenté à ses pairs, deux à trois fois plus âgés que lui, il leur déclame cette fulgurante présentation du Bateau ivre qui est son identification :
« Comme je descendais des fleuves impassibles... »
Pareil à un naufragé il se sent roulé dans les flots d'un lyrisme exacerbé. De plus en plus habité de fantasmagories il s'abandonne à son tourment, éprouvant le besoin d'une transcendance :
O que ma quille éclate! Que j'aille à la mer!... »
Il va devenir l'homme aux sandales de vent, le « nouveau Juif errant », en quête d'absolu, il va vraiment illustrer par son « Voyage en enfer » le prototype de l'âme en proie aux flammes purificatrices d'un purgatoire.
Dans cette galerie de portraits, dont, les uns à côté des autres, illustrent, dans un super-musée, les allégories exaltantes issues de la souffrance, mère des plus nobles sentiments, je voudrais y faire briller comme un vitrail, exposé aux lueurs rougeâtres d'un couchant, la silhouette de l'homme-Dieu crucifié et agonisant, les bras étendus sur la traverse de la croix. A ses côtés, se tient le cavalier romain Longin qui plonge sa lance dans le coeur de celui qui vient de mourir, comme le bec du pélican de la légende, qui veut, au delà de la mort, nourrir encore ses oisillons. De cette plaie coula, aux dires de l'Evangile, de l'eau et du sang. A chacun de nous de tirer les trésors cachés de cette féconde icône.
Octobre 2007