Retour
au menu
MON
DEUXIEME AGE
(1940-1950)
Belle
audace aujourd'hui d'écrire les premiers mots de cette deuxième
tranche de ma vie que j'ai décidé de rédiger et que j'intitule
: « Mon deuxième âge »
Il y a une quinzaine d'années j'ai laissé le personnage de :
« Qu'as-tu fait de ta jeunesse ? » à l'étape ultime
de ce périple qui l'avait mené, en marche forcée, depuis
Sedan juqu'à Mont de Marsan. Mes souvenirs sont encore relativement
précis, du moins ceux qui ont marqué plus profondément
ma mémoire et ce ne sont pas forcément ceux qu'on qualifierait
d'importants.
J'étais arrivé au but que je m'étais assigné :
Atteindre le rendez-vous donné par Isabelle. Je ne fus pas tellement
étonné de la déclaration de sa tante qui m'annonça
que sa nièce avait renoncé à me rencontrer. J'avais tellement
subi de contrariétés et encaissé tant de déceptions
que celle-ci fut acceptée avec assez de résignation. C'était
pour moi dans l'ordre des choses.
Mon séjour à Mont de Marsan fut de courte durée car on
me fit savoir, dès mon arrivée, que je devais quitter les lieux
au plus tôt, me trouvant dans ce qu'on appelait alors : « La zone
occupée » et que tout militaire, non démobilisé,était
en situation irrégulière, susceptible d'emprisonnement ou de
déportation par les autorités occupantes.
Je n'ai donc couché que deux nuits chez mon hôtesse montoise
et, le surlendemain de mon arrivée, je prenais le chemin du village
le plus proche « en zone libre » : Villeneuve de Marsan.
La carte michelin de Villeneuve
La carte michelin
de Villeneuve Avant de partir j'avais eu le temps de faire connaissance avec
les voisins de la tante, chiffonniers de leur état, mais très
sélectifs dans leurs acquisitions.Ils me proposèrent de me débarrasser
des guenilles du « Bon Samaritain » de Poitiers et m'équipèrent
de la tête aux pieds avec les plus belles occasions de leur réserve.
Ces braves gens, en plus, m'envoyèrent de leur part chez des amis Villeneuvois,
lesquels me dirigèrent sur l'embryon d'autorité militaire, section
« isolés ».
Ce fut le début d'un carroussel qui, tous les quinze jours ou, au plus
tard, tous les mois, nous déplaçait, mes camarades et moi, autour
de Villeneuve sans raisons bien apparentes. Comme ces consignes émanaient
d'autorités militaires, ces déplacements se faisaient de nuit,
comme si, après les deux armistices allemand et italien, ces changements
de lieux pouvaient encore cacher quelques manoeuvres secrètes à
l'ennemi.
Un beau jour, ces mêmes mystérieuses autorités décidèrent
de regrouper les « isolés » du Nord et de l'Est que nous
étions pour former un convoi qui, par le rail,serait diriger vers la
frontière est du pays. De là, chacun devrait regagner son propre
domicile par ses propres moyens. Charroyés, en wagons de marchandise,
nous nous promenions de gare en gare, stationnant parfois plusieurs heures sur
des voies de garage. Nous n'étions uniquement nourris que de boîtes
de sardines et de la traditionnelle « boule de pain ». C'est de
cette époque que j'éprouve toujours un dégoût pour
ces conserves à l'huile.
Un train de marchandise d'époque
La durée
du trajet Sud-Ouest – Nord-Est prit plus de huit jours. Quand nous fûmes
arrivés soi disant à destination, nous apprîmes que les
autorités allemandes nous interdisaient le franchissement de la zone
dite « interdite », située au nord de Dijon.
Toujours dans le même convoi et durant les mêmes longs jours et
longues nuits nous refîmes, en sens inverse, le même trajet jusqu'à
Villeneuve de .Marsan. Cette mésaventure laissait entendre à ces
isolés que nous étions que nous devions nous accommoder de notre
sort et nous trouver chacun un modus vivendi.
Avant le départ de la folle équipée, montée par
le groupe d'officiers qui nous avaient embrigadés dans cette mésaventure,
je me trouvais résident dans le petit hôpital villeneuvois, ayant
contracté, quelques semaines auparavant, une bégnine maladie que
le major avait jugé bon d'être soigné en hôpital.
J'en avais été évacué pour participer au voyage
soi disant libérable mais, rejetés par l'autorité allemande,
chacun des « isolés » devait reprendre sa situation antérieure.
Pour ma part j'avais retrouvé les braves religieuses qui me traitaient
comme un locataire définitif. J'étais admis par la population
du village comme un des leurs, on m'appelait d'ailleurs : « Lou soldat
de l'hospital ». La mère supérieure, en bonne mère
qu'elle était, me prit sous sa protection et se chargea de me trouver
quelques petits emplois rémunérateurs auprès des écoliers,
alors désoeuvrés et dont il fallait remplacer les maîtres
disparus dans la nature ou dans les camps de prisonniers.
L'Hospice de Villeneuve
Ce qui m'intéresa dans cet enseignement forain c'est que je me trouvais
en contact avec les familles les plus diverses. Elles étaient, certes,toutes
plus ou moins fortunées pour se payer un tel « extra » mais
je découvrais surtout chez elles un monde un peu au-dessus de la moyenne,
une sorte d'aristocratie de campagne et, parfois ,un comportement insolite et
même fantastique. J'en ai donné un reflet dans une de mes nouvelles
: « Le jardinier du château » qui fait partie de : «
La Jeune Morte ». C'est dans cette famille, habitant en pleine forêt
landaise et semblant vivre de l'air du temps, jouissant ,comme dit Baudelaire,
de l'ordre, de la beauté, du luxe et aussi, peut-être d'une certaine
volupté de vivre. Je me liai d'amitié aec un des plus jeunes fils
qui s'adonnait à l'apiculture, ce qui lui donnait, pour moi, une dimension
d'un au-delà des banalités de l'existence. Il me fit découvrir,
en ouvrant ses ruches, les secrets du monde des abeilles et j'imaginais même
de de me consacrer à cette profession.Plus tard, j'essayai de mettre
en pratique ce projet mais une allergie aux moindres piqûres d'abeille
m'obligea à y renoncer.
En attendant j'étais encore plus ou moins embrigadé dans la formation
des « militaires isolés » et je bénéficiais
des repas servis dans une cantine improvisée chez un habitant du centre
du bourg. Je m'y rendais chaque jour et, à cette occasion,se produisit
la rencontre de deux destins,le mien et celui de ma future épouse et
future mère de mes trois enfants. Cette rencontre et cette attirance
réciproques semblaient avoir été organisées par
une intervention providentielle. Bernadette qui habitait avec ses parents vis
à vis de la cantine de fortune, dans la candeur de ses seize ans, du
trottoir d'en face, se distrayait des allées et venues des soldats en
quête des repas distribués bi-quotidiennement. Elle se souvient
encore, me confia-telle, soixante dix ans plus tad, que, dans ce défilé
de militaires,elle avait distingué tout de suite l'un d'entre eux. Il
était facile à repérer puisqu'il était le seul à
ne pas porter d'uniforme.En effet J'étais vêtu d'un pantalon blanc
et d'un blazer à rayures jaunes et bleues qui, paraît-il, me seyait
à merveille.Le chiffonnier de Mont de Marsan, voisin de la tante d'Isabelle,qui
m'avait su si
Bernadette à 18 ans
magnifiquement m'équiper,
ne sut jamais qu'il participa quelque peu au couple que ma femme et moi , malgré
bien des vicissitudes, formèrent jusqu'à ce jour.Quant à
moi, ma précédente lecture du Grand Meaulnes avait orienté
mes choix féminins vers la ressemblance de quelque Yvonne de Galais.
Bernadette était ce type de jeune fille que je rêvais de rencontrer.
La grâce de ses gestes ingénus, sa longue chevelure flottant sur
ses épaules, le charme de tout sa personne ne pouvaient que me séduire.
Un jour plus favorable fit que nos deux regards se rencontrèrent et qu'on
éprouva l'un et l'autre, sans doute, un même besoin de fusion Dans
ces situations, le hasard (mais est-ce le hasard ?) s'empresse de provoquer
des raisons de se rejoindre. C'est aisi que Bernadette, étant secrétaire
chez le notaire du pays et que de mon côté, j'étais dépendant
des directives de ce notable, préposé aux envois de colis aux
prisonniers de guerre du village,nous nous retrouvions dans les corridors de
l'étude. La mère supérieure de l'hôpital,qui était
intervenue en ma faveur pour mon agrément auprès des parents,
nous ménageait parfois de curieuses entrevues, ne serait-ce qu'en me
proposant d'assister, au mois de Marie 1941. Assis au fond de l'église,où
je me blotissais, j'avais le loisir d'admirer la silhouette bien aimée.
Et ces innocents rendez-vous, plus ou moins clandestins se succédaient
malgré les réticences d'une mère quelque peu désappointée
des nouveaux comportements de sa fille et aussi de ses compagnes, sans doute
un peu jalouses de cette idylle.
La fidélité et l'exaltation des deux« tourtereaux»,
comme les appelaient les témoins les plus favorables fit que, quelques
mois plus tard, le jour de Noël, se célébraient, en famille,
d'officielles fiançailles. Le curé, invité pour bénir
la bague, adressa un mot de félicitation aux jeunes promis. Il ajouta
avec une pointe d'humour qu'il ne s'étonnait pas q'ils eussent choisi
pour cette cérémonie la fête des « Saints Innocents».
La traversee d'un cauchemar
S'il y
avait une personne qui ne se laissait pas emporter par cette euphorie c'était
la mère de Bernadette qui ,voyant l'échéance d'un prochain
mariage, se souciait de l'avenir de son enfant. Souci d'autant plus préoccupant
qu'il s'agissait d'une adoptée depuis l'âge de trois ans et qui
avait connu, jusqu'ici,une existance des plus privilégiées. Que
lui promettait une union avec cet « étranger », ce militaire
à peine démobilisé, ce réfugié du Nord de
la France, cet « isolé » devenu une épave de l'hôpital
local ? On comprend ses réticences et ses appréhensions.Les conditions
d'un mariage, objectait la future belle-mère,ne pourrait se faire que
si j'exerçais un emploi permettant de subvenir au besoin d'un ménage.
J'avais un réseau si restreint de relations capables de me sortir d'un
tel embarras que j'eus vite fait le tour de mes possibles appuis locaux dans
cette quête d'emplois. C'est alors, que, comme d'habitude, je me rabattis
sur mon ancien professeur et aussi collègue et, maintenant plus proche
qu'un frère aîné: Henry de Julliot, celui dont j'ai rédigé
la biographie de son vivant et où j'ajoutais au titre: « Pourquoi
deux ailes à son nom ? » C'était vraiment pour moi
un double de mon ange gardien.
Il était au courant de mon projet de mariage et éprouvait une
amitié confraternelle pour celle que j'avais choisie pour devenir ma
compagne. Mon cri d'alarme ne pouvait que le solliciter davantage. Malgré
ses multiples adresses où son errance le dispersait je réussis
à l'atteindre assez vite. il me répondit que, naturellement,il
mettait tout en oeuvre pour répondre à mon appel de détresse.
Heureusement, m'écrivait-il, pendant les récentes semaines de
derniers combats, il avait secouru un soldat en difficulté et celui-ci
lui avait promis de se mettre à sa disposition s'il avait besoin d'une
aide . Il avait même ajouté qu'il serait heureux de secourir ce
fiancé-ami auquel il faisait allusion dans sa dernière lettre.
Je me crus comblé par les attentions de la Providence et je ne pouvais
que me féliciter d'être ainsi choyé par le ciel. La suite
de l'histoire me fit vite déchanter.
Ce soi disant « providentiel intervenant » m'écrivit
pour, disait-il, se renseigner sur mes aptitudes, m'annonçant qu'étant
le bras droit d'un important industriel d'une fabrique de tissage dans l'Ariège,il
avait mission de recruter un auxiliaure capable de le seconder.Dans ma réponse
je lui fis entendre que ma formation n'était surtout que littéraire
mais que je pourrais, à la rigueur , assumer des fonctions de secrétariat
.L'affaire étant conclue, je renonçai à mes cours de précepteur
et ,également à une fonction, récemment acquise, d'adjoint
à une délégation de réquisition pour le ravitaillement
du canton. C'est avec regret que je cédais cet emploi qui me rendait
quelque peu fonctionnaire. D'ailleurs, encore aujourd'hui, sur le compte de
ma retraite, je bénéficie toujours d'un revenu -oh, très
modique certes mais continu- qui m'est toujours attribué. Mais au diable
ces attributions de gagne-petit puisque m'était proposé un pactole
d'une autre ampleur !Dans les premiers jours de juin, je me rendis donc dans
ce village ariégeois où l'ami d'Henry me convoquait.
Une
usine textile de Lavelanet
Après un voyage
fait de transport en train tortillard et en plusieurs relais d'autobus je parvenais
à destination. Guidé par les multiples renseignements auprès
des gens du lieu, j'aboutis à l'adresse indiquée. Ce n'était
pourtant pas le lieu d'une maison d'habitation mais celui d'une grange fermée
par de grandes portes de bois et par celle d'un portillon à claire-voie
où était affichée, sur un panneau, le nom de l'habitant:
« M. et Mme Charles G. »
Franchissant le seuil, je devinais dans la demi-obscurité, un escalier
qui montait à l'étage. J'en gravis les marches et frappai à
la porte d'entrée. Comme je déclinais pour la deuxième
fois mon identité, la porte s'ouvrit et je me vis en présence
d'une femme d'une trentaine d'années dont le visage était marqué,
très ostensiblement, d'un outrageant « oeil au beurre noir ».
Comme elle remarquait sans doute mon étonnement, elle s'excusa aussitôt
de me recevoir, défigurée par un si voyant hématome :
- « Veuillez m'excuser de me présenter dans un tel état.
Ceci, dit-elle en montrant son oeil poché, est le résultat d'une
malencontreuse glissade dans ma cuisine. » ( En réalité,
je le sus plus tard,c'étaient le conséquences d'une récente
querelle de ménage.)
- Je demandai si elle était prévenue de mon éventuelle
visite et si elle avait reçu quelque consigne pour m'indiquer le logement
qui, en principe, m'avait été retenu dans le pays. Elle sortit
du tiroir de la table de cuisine un papier où était inscrit, en
gros caratères, le nom de ma logeuse prévue et son adresse.
« Revenez demain matin, me dit-elle, Charles sera sans doute de retour
puisqu'il vous a donné rendez-vous. »
Je redescendis l'escalier à tâtons, poussai le portillon de la
grange et me retrouvai dans la rue. J'étais quelque peu déboussolé
de cet accueil innatendu et m'empressa de découvrir le logement qui m'était,
en principe, attribué. Je le trouvai à la sortie de l'agglomération,
le long d'une maigre rivière caillouteuse. La maison, isolée,comportait
deux logements. Mon hôtesse, qui se disait prénommée Rosine,m'accueillit
avec bonhomie et me conduisit à l'étage, dans une chambre équipée
d'un lit étroit, d'une armoire de sapin et d'une table de toilette avec
une cuvette émaillée et de son broc; la tapisserie défraîchie
s'accordait au caractère de la chambre où régnait une atmosphère
d'ennui. Harrassé par mon voyage, je renonçai à diner et
me glissai dans le lit.Ce ne fut qu'après un long soliloque sur les derniers
événements de cette journée que je trouvai enfin le sommeil.
- Le lendemein matin, à une heure précoce mais convenable pour
une telle visite, je me rendis à nouveau chez celui qui acceptait de
me présenter au hautes instances de l'important industriel du lieu. Dieu
merci!, il était présent. Il me demanda d'excuser son absence
de la veille, en raison, disait-il, d'importantes affaires traitées.
- « Partons ensemble, me dit-il,nous n'avons plus de temps à
perdre si nous ne voulons pas contrarier le grand patron qui sait déjà
que vous êtes dans nos murs. »
- Nous parcourûmes à pied plus d'un kilomètre pour parvenir
à l'entrée de l'usine. Charles G. parla confidentiellement à
l'oreille du concierge.Alors,sur son invitation, nous traversâmes une
grande cour pour aboutir à un long et haut bâtiment.- La porte
aussitôt ouverte et dès les premiers pas, je me sentis assailli
par une avalanche sonore qui m'attaquait sur toutes les parties du corps. j'
étais comme « roué » de bruits.
Un
métier à tisser dans les années 40
C'était la première
fois que je faisais connaissance avec un atelier de tissage avec autant de métiers
en fonctionnement. Tétanisé je ne savais quelle attitude prendre,
je me sentais dans l'incapacité de prononcer la moindre parole, je n'avais
d'ailleurs rien à dire, tellement je me trouvais éberlué.
Mon guide dut me tirer de là pour m'aider à traverser ce tohu-bohu
et m'amener devant une porte qui m'introduisait dans un autre local beaucoup
moins bruyant mais aussi antipathique. Dans une atmosphère où
régnait un épais brouillard de poussière, deux hautes machines
animées de battoirs en continuels mouvements avalaient d'un côté
des charges de chiffons qui, après avoir été secoués,
devaient, au côté opposé, les rendre dépoussiérés
et réduits en résidus de laine et de coton.
Autour de ces machines s'activaient des hommes et des femmes, dont certains
étaient baillonnés d'un masque protecteur, et qui projetaient
dans la gueule largement ouverte de la tarare des amoncellemnts de chiffons.
De l'autre côté, une autre équipe, armée elle aussi
des mêmes outils, recueillait cette manne de déchets débarrassés
de leur souillure pour en constituer des ballots destinés au tissage.
Je sus plus tard que cette usine s'était spécialisée, en
raison des pénuries de la guerre, dans la fabrication de tissus à
base de récupération de vêtements ou de lingeries hors d'usage.
Je serais resté pétrifié de stupéfaction si on ne
m'avait pas mis entre les mains un rateau de bois pour oeuvrer de concert avec
ceux qui m'entouraient.
Personne ne m'avait donné de consignes particulières, j'exécutais
les mêmes gestes des ouvriers et des ouvrières qui m'entouraient.
Sans trop m'en rendre compte sur le champ je venais de subir la même métamorphose
d'un certain héros de Kafka et j'étais devenu le même cafard,
aussi docile et aussi dégradé, qui ne pouvait que se mélanger
à ces autres insectes sociaux obéissant à d'aussi imperceptibles
mais aussi impérieuses injonctions.
Je ne sortis de cette hypnose qu'une ou deux heures plus tard quand une sirène
hurlante désactiva subitement tous ces mouvements mécaniques aussi
bien ceux des deux batteuses que ceux qui s'agitaient à son service.
C'était la pause de midi.
Ce fut pour moi une délivrance. Après un repas pris à la
va-vite je me précipitai vers la grange où, à l'étage,
mon soi disant mentor qui devait me procurer un emploi des plus mirifiques.
Cette connaissance de mon ami le plus intime ne pouvait pas m'avoir aussi grossièrement
mal orienté, il fallait qu'il se rendît compte de cette lamentable
méprise.
Je le trouvai en train de terminer son repas. Ma visite provoqua d'abord sur
lui une grimace de surprise mais, très vite, il afficha une sereine assurance
:
- «C'est vrai, intervint-il, après mon réquisitoire, vous
pouvez être étonné de cette façon de vous avoir engagé
mais c'et la manière du patron qui veut tester ainsi la valeur de ses
recrues... il faut toujours ici passer par la petite porte et par les plus humbles
tâches. C'est là qu'on juge ce qu'on peut attendre, dans l'avenir,de
ceux qui ont été soumis à ce rite de passage.. »
. Il continua plus rassurant : «Soyez confiant, le patron est au courant
de votre embauche et de vos bonnes dispositions devant la trieuse des chiffons;
Il a tout de suite apprécié votre courage et votre détermination.
Surtout, insistait-il,ne le détrompez, en ne retournant pas à
votre poste, vos chances seraient très compromises. »
Que faire dans la situation qui était devenue la mienne ? J'avais coupé
tous mes ponts derrière moi, je n'avais aucun parent qui puisse m'accueillir
et je n'avais aucun recours qui puisse m'orienter vers d'autres solutions.
Sur le chemin de l'usine, en traînant les pieds, je longeais des murs
couverts d'affiches; L'une d'elles proposait « Engagez-vous dans l'armée
coloniale pour un avenir assuré. »
J'adressai à cette invitation un sourire désabusé. C'était
pourtant, en cas d'échec, mon seul salut.
Un
stock de chiffons...
Résigné de
force, je repris le travail de trieur de chiffons, cet après-midi là
et les jours suivants. Ce n'était pas une affectation définitive
aussi je me suis vu muté à d'autres fonctions mais toutes aussi
pénibles et aussi avilissantes.
Une dizaine de jours plus tard, j'apprenais une information qui allait me sortir,
du moins momentanément,de cet enfer. L'usine allait fermer ses portes
en raison de la loi nouvelle du Front Populaire sur les Congés payés.
C'était une nouvelle à la fois libératrice mais aussi déconcertante.
Où me rendre pendant ces quinze jours de liberté ? Après
bien des hésitations, je sollicitais la famille de mes futurs beaux-prents
de me trouver un asile près de chez eux pendant cette courte période.
Je soupirai d'aise quand ils me proposèrent de me recevoir à Villeneuve
où ils me proposaient de me trouver un logement.
Avant de partir de l'usine, je me rendis à nouveau chez Charles G. et
lui demandai que, pendant mon séjour près de mes futurs beaux-parents,
je reçoive, de sa part une lettre qui confirme l'embauche de qualité
qui m'avait été promise. Ce qui permettrait de rassurer le père
et la mère qui acceptaient, malgré ce début difficile,
de me confier le sort de leur fille.
Pendant le peu de temps que j'avais vécu dans cette galère et
au régime sec de ce pays de pauvres gens, je m'étais manifestement
amaigri et ce n'était pas un gage heureux du couple qui devrait subir
de telles rigueurs.Quinze jours plus tard, résigné de force à
mon de plus en plus impropable destin, je reprenais le chemin de l'usine ariégeoise;
c'est alors que malgré ma désespérance, se leva l'aurore
d'une chance nouvelle
Dès la reprise du travail du dernier emploi de manoeuvre où j'avais
été affecté, je fus appréhendé par le chef
de service oùj'avais été précédemment employé.
« Je ne pensais pas vous revoir, me dit-il.Comment se fait-il que
vous soyez revenu parmi nous ? »J'hésitais à lui répondre,
honteux d'ailleurs moi-même de ma situation
- «Pendant ces congés, lors d'une promenade en montagne où
je fais office de guide pour mon patron, je lui ai parlé de vous. Il
me semble que M. Antoine a pris pitié de vous. Il m'a dit qu'aux premières
heures de la reprise du travail, si, par hasard, je vous retrouve, je vous envoie
à son bureau. Laissez là ces outils et rendez-vous auprès
de M. Antoine qui, je vous l'assure, vous attend. »
Une telle invite semblait me tomber du ciel. Je crois que, sur le coup, je récitai
une action de grâces.
Quelques minutes plus tard, je me présentai à ce provientiel «
jeune patron », beau comme un ange d'ailleurs, illuminé de sourires.
- « C'est donc vous celui dont mon guide de montagne m'entretenait,
ces jours-ci. Il m'a raconté comment ce Charles G. à réussi
à vous emberlificoter dans son habituel réseau de promesses illusoires.
Vous n'êtes pas d'ailleurs sa première victime. Il semble, avec
vous, avoir dépassé la mesure, il faudrait y mettre un holà.
Comment, selon le récit de mon guide, ce garçon a-t-il eu l'audace
de vous berner à ce point! C'est tellement invraisemblable qu'on hésite
à y croire. Ainsi, paraît-il, vous a-t-il promis une place d'homme
de confiance du patron? Est-ce vrai ? »Comme j'approuvai, le jeune
patron éclata de rire et se tournant vers ses collaborateurs, déclara:
« Je crois que, cette fois, il a dépassé les bornes »
Et se tournant vers moi : «Pourriez-vous me donner une preuve de cette
rocambolesque histoire ? »
- Oui, lui répondis-je, ce matin même, j'ai reçu de mes
futurs beaux-parents une lettre qui m'étais destinée et postée
à leur domicile des Landes. » Le patron s'empressa d'ouvrir le
courrier et de lire la lettre à haute voix, l'interrompant par des éclats
de rire :
- « Bravo, était-il écrit,vous êtes digne de la
plus grande admiration d'avoir ainsi pris le taureau par les cornes. Le patron
est heureux de vous compter désormais parmi ses plus vaillants collaborateurs
mais, peut-être, tient-il à encore vous éprouver pour confirmer
sa foi en votre personne. Continuez à demeurer digne du poste qui vous
est promis dans notre organisation. je vous attends et, à nouveau, vous
félicite.... »
- « Me permettez-vous d'utiliser cette lettre pendant quelques instants
» demanda le patron et, avec ma permission il se rendit sans doute auprès
de certains services appropriés. Quand il rentra, il me déclara
: « Soyez rassuré,mon cher, votre « protecteur »
vient de recevoir la sanction qu'il mérite. Je viens de lui signfier
son renvoi. Veuillez excuser mon manque de prévoyance à son égard.
Son embauche à l'usine a été contractée eu égard
aux éminents services qu'a rendus son père comme ingénieur
des plus qualifiés.
- Mais, tout ceci, continua le patron,ne change pas pour vous la situation où
ce triste individu vous a conduit. Aussi, pour aller au plus vite, j'ai décidé
de vous donner, dès maintenant, la place libérée par l'exclusion
de Charles G. »
Je ne savais comment remercier celui qui, d'un coup de baguette magique venait
de me sortir du cauchemar où depuis, plusieurs mois, je me sentais emmuré.
Je m'étonnais de ne pas entendre sonner autour de moi les trompettes
de Jéricho.
Prendre la place de celui qui se targuait de me secourir, n'était-ce
pas un acte d'ingratitude ? Certainement pas car, immédiatement, après
son limogeage,il rencontrait celle qui fut sa nourrice: « Où vas-tu,
Charles, lui demanda-t-elle, ainsi en plein après-midi de travail ? -
-Rassurez-vous, lui répondit cet impénitent mythomane, le patron
m'envoie, sur l'heure,en mission auprès du ministère... ».
LE RETOUR AU PAYS LANDAIS
L'Hopital
de Villeneuve de Marsan dont les abords avenants servaient parfois de décors
pour les mariages du lieu, comme celui_ci, célébré le
7 avril 1942.
Si j'avais quitté
le pays des Landes c'était bien malgré moi, ne pouvant pas offrir
à ma future femme, dans son propre pays, les moyens nécessaires
à la gestion d'un ménage. Le coup de théâtre m'obtenant
un emploi inespéré me permettait au moins de lever tout obstacle
à notre projet d'un prochain mariage. Bernadette pressait sa mère
de préparer, pour notre départ, l'équipement nécessaire
à notre installation en Ariège. Nous possédons encore des
reliques de cette préparation attendrissante d'ustensiles de cuisine
comparables aux jouets d'une panoplie de ménage de poupée. A l'usine,dès
le lendemain du renvoi de Charles G., je vins occuper la place qu'il tenait
dans le bureau de l'organisation récente du Système Bedeau. Mon
emploi consistait à me rendre dans les ateliers de tissage et, muni d'un
chronomètre, d'évaluer le temps que l'ouvrière consacrait
à chacun de chaque geste essentiel de son travail. Je me souviens que
mes premières mesures étaient celles de l'exécution d'un
« noeud », après cassage du fil sur la chaîne ou sur
la trame. Mes comptages ayant été relevés sur des tablettes
millimétrées, je rapportais les résultats de mes investigations
qui seraient examinés, comparés et évalués pour
déterminer du temps moyen de cette opération. Les primes au rendement
étaient calculées sur les performances obtenues au delà
du temps de référence. C'était tout simplement la transposition
du Taylorisme américain avec son contôle du travail à la
chaîne.
Un bureau de luxe...
Si, les jours précédents, je me trouvais malheureux à dépoussiérer
les chiffons, ici, malgré les meilleures conditions de travail, je ne
me sentais guère à l'aise dans ces méticulosités
et ses chipotages de secondes .Cette façon récente, pour l'ouvrière,
d'être observée à la loupe de chacun de leurs gestes , exécuté
d'ailleurs uniformément et qui était devenu presque mécanique,
gênait leur habilité. Aussi ces observateurs au chronomètre
que nous étions étaient-ils mal perçus et, de temps en
temps,nous recevions de leur part des remarques assez désobligeantes
et, parfois même, féroces.
Allais-je savoir m'adapter à ce nouveau métier et serais-je capable
de satisfaire l'ingénieur Bedeau qui attendait avec impatience mes résultats
de contrôle?
D'autant plus qu'auparavant il ne comptait guère sur les opérations
de mon prédécesseur Charles G., installé à cette
place, par complaisance du patron pour les services rendus autrefois par son
père. Malgré les successives avanies ou peut-être à
cause d'elles, le ciel finit par largement me sourire. L'heureuse surprise qui
me fut alors accordée eut pour théâtre l'habitation des
parents de Bernadette. Son père, ce matin là ,avait disposé
son attirail de toilette dans la cour. Il avait commencé, armé
de son rasoir à lame, de racler une joue savonnée quand, Rosa,
sa femme, se planta devant le miroir:
«- Viens immédiatement, monsieur Boissarie te demande.
- Qui ? M. Boissarie ?
- Oui, lui-même, il t'attend.
- Ce monsieur Boissarie était une importante personnalité et son
prestige dominait celui de tous les « moussus » du canton. A la
sollicitation d'un monsieur Boissarie on ne pouvait qu'immédiatement
répondre. Le blaireau et le rasoir à la main, François
se présenta devant le visiteur.
- Veuillez excuser ma précipitation, lui dit le solliciteur, j'ai
besoin d'une réponse rapide à ma proposition.
- Ca me concerne ?
- Non, pas vous, mais votre futur gendre. J'ai appris qu'il est à la
recherche d'un emploi. j'en ai un à sa disposition. Est-il disponible
?
- Il le serait pour vous s'il peut remplir la fonction que vous lui proposez.
- Vous savez que le maréchal Pétain a transformé l'institution
des Anciens Combattants dans le cadre de l'Etat Français par la Légion
française des Combattants. Je suis chargé d'organiser la section
du canton de Villeneuve de Marsan, en zone libre. Votre futur gendre serait-il
intéressé d'en assurer, ici, la gestion ?
Rosa qui s'était rapprochée des deux interlocuteurs ouvrait de
grands yeux d'étonnement :
-Notre gendre en serait-il capable ?
-J'en suis persuadé, répondit Boissarie. J'ai sur lui d'excellents
renseignements et j'aimerais qu'en raison des services que M. Hourcade rend
dans cette commune comme Conseiller municipal, vous bénéficiez
de cet avantage.
- Il faut que nous le consultions, dirent presque en même temps les futurs
beaux-parents mais sachez que son acceptation ferait notre plus grand bonheur.
- Faites au plus vite, dit Boissarie, il faudrait que cette affaire soit conclue
dès le début du mois prochain.
A ce merveilleux événement survenant dans la famille Hourcade
s'ajoutait une pointe d'humour : François, une joue rasée et l'autre
encore barbouillée de savon souriait béatement dans un clownesque
sourire.
Un contrat de mon embauche comme secrétaire de la section villeneuvoise
à la Légion Française des Combattants fut rapidement conclue
et je m'installai au mieux de mes intérêts dans cette nouvelle
fonction.
A partir de ce jour s'ouvrit pour moi, dans mon deuxième âge, une
période des plus favorables.
Contradictoirement aux périodes précédentes où je
ne connaissais que désillusions et contrariétés, je découvrais
une tâche aisée et une rémunération bien supérieure
à ce qu'auparavant m'était proposé. J'avais l'impression
qu'après avoir plongé dans un gouffre de décrépitude
je renaissais à une nouvelle jeunesse. je retouvais l'ardeur de mes aspirations
anciennes et mes audaces enfantines. Je me revoyais questionné par mon
père , à mon retour inopiné de Saint Clément, ayant
renoncé à devenir prêtre, sur ce que je pensais faire,de
lui répondre, en toute candeur : « Ecrire! » . je ne m'étonne
pas qu'une telle réponse pût lui paraître absurde. C'est
pour cela que j'avais ajouté : « je désire entrer à
la Gazette de la Thiérache », cet hebdomadaire régional
qui était alors la seule lecture de la famille. Je suis encore étonné
que mon père ait accepté de jouer le jeu jusqu'à l'absurde
en se rendant chez le le directeur de ce journal qui lui a ri au nez. Je suppose
son degré de résignation, pour me sauver de ma désespérante
situation, en acceptant d'être ainsi bafoué.Quant à moi,
je me retrouvais dans l'innocence de mes quinze ans. Je croyais, à nouveau,à
la toute puissance de mon impulsion « d'écrire », me rappelant
que mon instituteur me qualifiait de « garçon à idées
», que mon professeur de français honorait mes rédactions
d'appréciations flatteuses, que j'avais obtenu un premier prix dans un
concours interscolaire, que j'avais été fier alors d'être
imprimé daans un journal. Bref, je retrouvais l'audace de croire en moi.
Dans la sérénité de mon nouvel emploi, j'oubliais que,
par inadvertance, Henry m'avait fourvoyé sur ce Charles G. et ses pièges
de mythomane. Maintenant je n'avais qu'à me féliciter de ma nouvelle
orientation auprès de la rédaction d'une revue littéraire
qu'il venait de créer avec de jeunes écrivains. j'y publiai un
premier poème puis, ensuite, plusieurs nouvelles. Je me sentais à
l'aise dans cette nouvelle voie.
Pour assurer le ravitaillement au foyer, en ces temps de pénurie d'occupation
où il fallait se procurer les produits de première nécessité
en battant les campagnes les plus reculées, je parcourais presque chaque
jour, à bicyclettte, les environs du bourg, traversant les bois de pins
et les champs, m'obligeant à une cure de solitude et de retraite. J'évoquais
mes souvenirs du passé et mes découvertes nouvelles créaient
le climat favorable à l'élaboration de mes projets.
C'étaient surtout les souvenirs de mon enfance en Thiérache qui
me fournissaient les principaux éléments pour conjurer certains
regrets qui m 'avaient secrètement torturés. J'imaginais, par
exemple, que mon jeune héros, pour se faire plus aimer de sa mère,
avait projeté de fuir de la maison familiale avant que personne n'ait
pu soupçonner sa fuite. Il se délectait d'avance, avec morosité,
du chagrin qu'il procurerait à sa mère quand elle s'apercevraIt
de son absence.. Mais la chute de l'histoire était encore plus amère
puisque la mère ne s'aperçut même pas qu'il avait quitté
le logis et qu'il était revenu avant même qu'elle ne s'en soit
aperçu.
Une autre histoire, de la même veine, mais, cette fois, pour se venger
de mon père , est quelque peu macabre. La source en remontait à
mon séjour à Blaugies, dans le sombre Borinage où s'était
établi Saint Clément, l'école apostolique. Mon père
m'avait obligé de chausser des anciens souliers de ma soeur aînée
Jeanne (il ne fallait pas mettre au rebut ce qui pouvait encore servir). Il
s'agissait de chaussures de fille qui se fermaient avec une bride et des boutons
fantaisie. Je les ai chaussés quelque temps mais mes camarades se moquaient
de mon accoutrement et m'appelaient « la fille ». je ne pouvais
plus supporter ces railleries et avais décidé de ne plus les porter.
Je ne me rappelle plus comment ces brimades étaient parvenues aux oreilles
de mon père et du supérieur, comment j'avais manifesté
mon intention de ne plus porter ces souliers ridicules et l'obligation faite
par mon père et le supérieur de les reprendre.
"La casquette"
dessin
de Lambert Rucki
La nouvelle : « La casquette », qui fait allusion à cette
frustration, ne fait que changer la nature du vêtement. Hutin, homme-à-tout-faire
mais aussi « homme d'équipe » à la gare , recevait
,tous les quatre ans, de la Compagnie des Chemins de fer du Nord, une nouvelle
casquette avec l'insigne de sa fonction. Cette veille de Toussaint, il est allé
chez le chapelier de la ville voisine pour acquérir sa nouvelle casquette
et le fils Oscar,à chaque échange, héritait de l'ancienne
dont on décousait l'écusson ferrovière et, à l'intérieur
de laquelle on glissait une épaisseur de papier-journal.
Cette année, Hutin a décidé d'acheter pour son fils, qui
se plaint d'être moqué par ses camarades, une véritable
casquette de gosse. C'était une double raison pour fêter ces deux
acquisitions chez un mastroquet.
La soirée se prolonge et notre homme qui a arrosé trop abondamment
ses achats revient en titubant vers le clocher de son village.
- « Mais qui sonne à sa place la veillée des morts ?
» En débouchant de l'escalier du clocher il voit son enfant
qui, pour sauver l'honneur du père absent, a voulu mettre en branle la
lourde cloche. Il a glissé sur l'airain ébranlé et le battant,
de sa lourde masse, a fracassé le crâne de l'enfant.
De la douzaine de nouvelles que l'éditeur Didier a rassemblé pour
la publication de mon premier livre, le titre donné est celui de l'une
d'elles : « La Jeune Morte » quoique elle soit placée à
la fin de l'ouvrage.
Dernièrement, à l'occasion de la relecture de « Réflexions
sur la poésie » de Paul Claudel j'ai fait un rapprochement avec
mes dispositions dans l'élaboration de cette nouvelle, un peu différente
des autres.
Le Tremble habité par
"La jeune morte"
Si quelqu'un me demandait comment m'en est venue l'idée je répondrais
que je suis le premier surpris d'être l'auteur de cette étrange
nouvelle qui ne repose sur quoi que ce soit de mon existence antérieure.
C'est alors que j'ai pris conscience que j'avais fait avec elle une vértable
opération de « poète », une création ex
nihilo. J'avais écrit auparavant des contes et des nouvelles qui
avaient comme supports des souvenirs d'enfance. C'est relativement facile d'exploiter
cette période de la vie qui, une fois révolue, se transforme naturellement
dans un temps sublimé, comme les végétaux fanés
se transforment en compost et, par la suite, en noble matière de terreau
qui est à la base de toutes les fertilités du sol...et de l'esprit.
Il arrive souvent que certains écrivains ne sont capables d'écrire
qu'un seul ouvrage qui les a vidés de tout le fertile apport de l'enfance.
Le cheminement qui m'a poussé à écrire « La Jeune
Morte » est tellement obscur et tortueux que je suis incapable de m'en
rappeler ni l'origine ni les détours. Dans le village, où alors
je résidais, j'avais remarqué un jeune fille dont je subissais
malgré moi le charme. j'essayai de m'en libérer par des tentatives
d'écriture où j'en faisais l'héroïne de quelque histoire
mais elles échouaient les unes après les autres. A force d'épurer
son image, pour la rendre plus idéale, j'avais fini par abolir sa propre
image et ne gardais d'elle qu'une illusion.
C'est alors , je crois, que le travail poétique commença son oeuvre
et que mon personnage, échappé de la réalité, prit,
presque à mon insu, cet étrange chemin.
Pour mieux la situer dans une atmosphère de légende, où
elle semblait se complaire, je l'imaginai dans un au-delà. Elle m'échappait
tellement que je ne la guidais plus dans un espace connu mas c'était
elle, dans sa situation particulière, qui me faisait la suivre sous terre
parmi les insectes qui, en principe,vivent en ces lieux, et au contact des sources
d'où elles surgissent, entourée de cette glaise qui faisait comme
une humide lymphe et une autre peau.
Pour retrouver contact avec le monde extérieur, ma Jeune Morte ne pouvait
pas trouver de meilleurs confidentes ni de plus fiables Arianes que les racines
d'un arbre. Je suivais le voyage de mon héroïne avec ravissement,
charrié comme elle dans les canaux de sève amère, redécouvrant
au fur et à mesure de notre ascension le lumière du jour derrière
l'écorce et puis, renaissant à la vie au grand air comme feuille
puis comme fleur.
Je lui avais trouvé des comportements nouveaux adaptés à
cette mutation et je me complaisais dans ce que j'imaginais de flexuosité,de
souplesse, de grâce, d'heureuse invention dans l'état de jeune-fille-idéale
tel que que je le concevais dans mon imaginaire et qui se réalisait dans
mon récit.
Ce n'est qu'à la fin de son aventure que je me rendis compte que mon
histoire n'était pas aussi illogique et qu'elle n'était d'ailleurs
que l'illustration d'un mythe bien connu sous le nom de : « La beauté
du diable ». Là, mes dons de poète n'avaient plus qu'à
poser les armes, l'intelligence et la raison reprenaient leurs droits et je
pouvais ne pas rougir d'avoir commis cette escapade un peu folle au bras de
la poésie,telle que la conçoivent Paul Claudel et l'abbé
Brémond, l'auteur de : « La Poésie Pure » .
Comparées aux difficultés subies, les deux années précédentes,
celles de ma gestion de la section locale de : « La Légion des
combattants » s'écoulèrent dans une certaine sérénité.
Ce qui me permit de me consacrer à ma passion de « l'écriture
» et de concevoir mon premier livre.
Cependant les événements nationaux de la zone occupée et
les internationaux d'une guerre toujours en expansion résonnaient du
choc des combats. De cet état de fait les difficultés s'aggravaient,
créant dans la population de l'ensemble du pays de plus en plus d'exaspération,
par l'irritation des sensibilités politiques. Les citoyens dits de droite
et du centre furent considérés comme des « collaborateurs
» en puissance, si ce n'est de fait, alors que les partis de gauche se
considéraient comme les seuls « Résistants » à
l'ennemi.
Ces distorsions se manifestaient encore plus ouvertement dans les petites agglomérations
où les jalousies partisanes et les vieilles rancunes de voisinage y trouvaient
un regain d'activité. Ce fut le cas entre la famille Hourcade, dont je
venais d'épouser la fille, et l'épicier d'en face, adhérent
aux F.F.I. Les signes de malveillance se multipliaient, c'est ainsi qu'un matin
nous constatâmes
que des mains anonymes avaient tracé sur la façade de notre habitation
d'infames croix gammées .
La discordance des deux camps eut des effets encore plus funestes à propos
d'une proposition d'emploi qu'une banque agricole m'avait soumise en vue de
la création d'un comptoir à établir à Villeneuve
pour le canton. L'affaire était pratiquement conclue quand intervint
une obstruction d'un Conseil régional de « Résistants »,
obligeant la banque à renoncer à ma nomination à ce poste.
Je ne pensais pas, trois ans plus tôt, qu'en acceptant la gestion d'une
section locale de la Légion des Combattants je serais marqué,
par l'autre clan, d'indignité civique.
Heureusement, qu'à peu près dans les mêmes temps (l'approche
de la fin présumée des hostilités incitait partout à
des initiatives de nouvelles créations) me fut proposée l'incorporation
dans une maison d'éditions, ce qui correspondait le mieux à ce
que je pouvais souhaiter.
Une de mes principales activités consistait à me mettre en relation
avec les imprimeurs de la place pour assurer la fabrication des différentes
collections des Editions Chantal qui venait de s'installer à Toulouse,
rue Pharaon. J'ai alors apprécié combien ces ouvriers s'acquittaient
avec ferveur de leur tâche, soucieux de la qualité de la mise en
oeuvre, scrupuleux dans les moindres détails d'exécution et apportant,
si possible, une touche personnelle dans l'exécution . Je les rencontrais
volontiers dans leur club, situé près de l'hôtel d' Assézat
où ils s'entraînaient à affiner leur métier dans
des exercices sans but lucratif, jouant sur toutes les possibilités d'exécution
comme les musiciens font volontiers leurs gammes.
Il existe d'ailleurs deux catégories d'imprimeurs, ceux du grand art
pour la publication des livres, l'aristocratie de la profession et l'autre,
presque industrielle, pour l'impression des journaux.
La créatrice des Editions Chantal était Magali, la célèbre
romancière ,appréciée par les amateurs des séries
sentimentales telles que les prisaient surtout les lectrices de cette époque.
Elle avait confié la direction de la succursale de Toulouse à
un de ses jeunes cousins qui, au lendemain de la Libération, se trouvait
auréolé de glorieux mérites puisqu'il sortait des prisons
du précédent gouvernement de Vichy. Le hasard l'avait alors enfermé
dans la même cellule que cet autre « Résistant » que
les autorités F.F.I. avaient désigné pour remplacer le
préfet précédent.
Pour un commerçant débutant et dans les difficiles restrictions
de matières premières d'alors, c'était une relation de
choix. Le hasard encore (ou est-ce la Providence ?) voulut que, puisque j'étais
à son service, je profitasse de cet avantage.
Je venais à peine d'être installé au siège de ces
Editions que ma belle-famille, depuis Villeneuve de Marsan, m'annonçait
la naissance de mon deuxième enfant, Michel. Je ne révélai
à mon directeur cet événement familial qu'après
un long moment d'hésitation. Des circonstances fortuites m'y avaient
obligé.
- « Eh alors, me dit-il, que faites-vous ici ? Courez tout de suite
auprès de votre famille qui, certainement ne comprend pas votre absence.
Je lui répondis que c'était mon plus vif désir mais que
je n'osais pas formuler une telle demande alors que je n'avais que quelques
jours de présence à mon poste.
- Faites immédiatement vos valises, me dit le directeur impérativement,
et rejoignez au plus vite votre enfant et les vôtres.
- Vous êtes trop aimable, répondis-je, mais le voyage de Toulouse
à Villene uve est des plus compliqués et des plus incommodes en
raison du manque de communication aussi bien par le rail que par la route. »
Le directeur semblait se désintéresser de ma réponse
et prit le téléphone:
- « Allo, la préfecture. Donnez moi le garage. Le garage ?
Disposez immédiatement d'une voiture pour un voyage urgent dans la région;
D'accord ? Bon! Amenez la ici, rue Pharaon, en vue d'un voyage aller-retour
pour les Landes. » Une demi-heure plus tard la voiture du préfet
entrait dan la cour des Editions Chantal et m'emmenait vers Auch, Vic Fezensac,
Eauze, en vue de Villeneuve de Marsan. J'étais tellement éberlué
de ce tour de passe-passe que j'avais du mal à coordonner cette succession
d'heureux hasards, de réussites, de bénédictions qui s'entre-
choquaient et me donnaient le tournis. Au dehors je regardais défiler
les paysages comme dans un kaléidoscope; de temps en temps je considérais
le buste de mon chauffeur, coiffé de la casquette de sa profession et
que je n'avais pas encore questionné,croyant avoir affaire à une
fiction.
C'est après avoir dépassé Eauze que je commençais
à mettre un plus d'ordre dans mon esprit. Etait-ce possible que moi,
chassé de mon ancienne profession parce qu'elle était en contradiction
avec ce qu'on appellera plus tard : « Le politiquement correct »
, je me trouvais, brusquement, l'obligé d'un personnage important dans
le nouveau gouvernement du pays.
La voiture officielle du préfet!
Quand la voiture préfectorale s'engagea dans les rues de Villeneuve de
Marsan je me rendis compte que j'étais en train d'infliger un flagrant
désaveu à ceux qui m'en avaient chassé quelques semaines
plus tôt. J'avais envie de demander au chauffeur de refaire le tour de
l'agglomération, de passer et de repasser devant la façade du
voisin qui était à l'origine de mon exclusion.
Tout cela était trop beau. A la maison on me mit dans les bras mon fils
nouveau-né et j'enlaçais tendrement ma femme et embrassais chaque
membre de ma famille.
Le chauffeur se confondait en remerciements pour le poulet que ma belle-mère
s'était empressé de lui préparer pour son retour. je regardais
la voiture du préfet s'éloigner sur la route et disparaître.
Un miracle venait de se produire et le ciel, sur son couchant, rosissait à
l'horizon comme une apothéose. Combien j'aurais aimé que mon engagement
aux Editions Chantal se prolongeât ! Malheureusement, en ces années
45-46 le cours des choses semblait avoir adopté la folle allure des sursauts
d' agonie de l 'armée allemande, ceux du réveil de l'armée
américaine et aussi ceux d'une France enfin délivrée. Les
gens du Nord qui s'étaient réfugiés dans les provinces
méridionales sous la ruée allemande, éprouvaient le besoin
de retrouver au plus tôt leurs logis déserté et leurs anciennes
activités.
Dans ce même état d'esprit, Magali renonçait à prolonger
l'installation de sa succursale toulousaine. Je me trouvais à nouveau
démuni d'emploi. Cependant, prévenu des intentions de la romancière,
je n'étais pas tellement étonné de sa décision et
je m'étais préparé un plan de sauvegarde en fondant, en
1947 : « La Librairie-Club », rue de la Trinité, en collaboration
avec l'abbé Buffières, l'éminent professeur de grec de
l'Institut Catholique .
L'un des principaux animateurs de ce petit centre culturel qui rassemblait le
Tout-Toulouse intellectuel de l'époque, était, d'abord le jeune
Henri Agel professeur de lettres au lycée Pierre de Fermat, créateur
du premier ciné-club et co-fondateur de l' H I D E C.
A ce propos un professeur honoraire d'Histoire et d'Esthétique de Montpellier
écrivait en 1947 : « Je me souviens avec une netteté
scintillante, malgré mes 82 ans, des rencontres amicales et décontractées
qui avaient lieu à la Librairie-Club.
Jean Hannoteaux devant "La
librairie club"
Tous ceux , toutes celles qui étaient là et qui animaient
la ferveur de la jeunesse d'alors, étaient passionnées de poésie,
de musique, de peinture, de cinéma... »
A cette Librairie-Club se rencontraient aussi bien le philosophe chrétien
Georges Hahn que le thélogien du marxisme Henri Lefèbvre, ainsi
que les espoirs de l'Ecole des Beaux Arts tels que Marfaing, Igon, Jousselin
et, surtout, Jacques Fauché dont mon bureau est d'ailleurs décoré
de plusieurs de ses toiles.
La jeune et sémillante Marguerite Dambrin, marraine des arts, à
Toulouse, patronnait cet établissement et y amenait ses protégés,
les acteurs de la troupe nouvellement créée : « Le Grenier
de Toulouse ».
Le médecin psychiâtre de Rodez, auteur de : « l'Aliénation
poétique » vint exposer sur les cimaises de la librairie les oeuvres
les plus caractéristiques de ses patients, près desquels on aurait
pu faire figurer certains Van Gogh et aussi quelques peintres surréalistes.
Mais l'animateur principal , le plus ouvert à toutes les ondes esthétiques
et spirituels était Max Primault, à qui j'ai consacré,
en 1990, une plaquette commémorative. En quittant les Editions Chantal
j'abandonnais en même temps mon logement de la rue Pharaon et c'est ,
à ce moment là, que Max me recueillait, ainsi que ma famille,
dans son vaste logement de la Grande Rue Nazareth que, du lundi au samedi, il
se rendait au lycée de Montauban où il exerçait son «
ministère » de professeur de lettres.. C'est en cette période
qu'il eût comme élève Philippe Labro qui évoque,
dans « Le Petit Garçon » leurs anciens rapports.
Chez lui , au premier étage, sur la table de la salle à manger-bureau,
pour terminer mon roman : « Les Enfants de Lumière » dont
je lisais les nouvelles pages à mon hôte, lors de ses retours hebdomadaires.
C'est Max qui m'a conforté à explorer les fééries
du domaine de l'enfance. Mais, plus loin, je reviendrai sur ce roman que je
considère comme un des actes les plus importants de ma vie.
L'âge d'or de la ibrairie-Club fut de courte durée. Si le premier
but de sa création, c'est à dire polariser sur ce lieu l'intelligentzia
de la ville, fut un franc succès, celui, moins noble mais vital,d'y gagner
de l'argent, du moins de quoi survivre, se révéla aléatoire.
Les actionnaires ne touchaient aucun dividende et certaines dettes d'installation
n'étaient pas remboursées. L'abbé Buffière,ariégeois
de tempéramnt, décida de mettre bon ordre et c'est ainsi que je
vis mon salaire se réduire presque de moitié, ce qui mit la trésorerie
de mon ménage bien en péril. Or, me tomba du ciel une nouvelle
fois,comme ce fut le cas, coup sur coup ,ces trois dernières années,
une autre proposition d'emploi. Une connaissance de Villeneuve de Marsan, André
D., engagé avec un groupe de jeunes toulousains dans un journal nouveau-né
de la Résistance (La République), cherchait un associé
pour tenir avec lui une librairie que ce quotidien venait de créer au
lieu-dit : « Passage des boulevards », proche de la place Wilson.
En raison de mes dernières activités et aussi de ma disponibilité
actuelle, je devenais le candidat idéal.
Page de couverture de ma biographie
de "Max Primault"
J'arrivai dans un local prêt à servir, fraîchement décoré
par le jeune peintre en vogue Christian Schmidt, aux rayons garnis de livres,
sur un lieu des plus fréquentés de la ville. Je n'avais qu'à
attendre et à servir une clientèle friande de nouveautés.
Je me souviens que sur le comptoir nous avions disposé une pile de :
« Pas d'orchidée pour Miss Blandish » de James hadley Chase,
la coqueluche des dernières livraisons de littérature américaine.
Je les débitais comme, on distribuait, à cette époque,
dans un bureau de tabac, des paquets de Gauloises.
Naturellement tout était différent entre ces deux librairies.
La première se voulait sélective, singulière, aristocratique,
la seconde ouverte au grand nombre, banalisée, populaire. La première
s'était retranchée dans l'étroite Rue de la Trinité,
la seconde s'étalait en plein boulevard. La première ne proposait
que des oeuvres plus ou moins raffinées et se voulait plus salon que
forum, la seconde ne proposait que des articles alléchants et s'adressait
à une clientèle de Supérette. La première était
surtout riche en parlottes et en originalités, la seconde proposait des
produits commerciables destinés au Grand Public.
Et pour ajouter une singularité dans leur disparition, la Librairie-Club
a cessé d'exister en raison de la trop faible vente des ouvrages de son
fonds. La Librairie du Passage à cause de la faillite de ce qui lui donnait
sa raison d'exister.
Il est vrai que le journal « La République » était
né dans la même éclosion des quatre autres journaux, surgis
comme champignons le lendemain d'une nuit d'orage. C'était le temps des
éphémères. Les émoluments, dont nous nous gratifions,
mon associé et moi-même, sur les recettes journalières,
auraient dû disparaître avec la déclaration de faillite du
journal. Comme nous étions en bonne intelligence avec les syndics, ceux-ci
acceptèrent que nous continuions la vente des ouvrages du fonds qui serait
versée au bénéfice de la dette de faillite et aussi à
nos rétributions mensuelles. Comme cette décision de justice n'avait
pas réduit nos ventes, nous pûmes,pendant plusieurs mois,bénéficier
de nos salaires habituels.
Depuis longtemps, j'avais l'habitude de traverser des périodes périlleuses
et je m'en étais toujours sorti sans trop de dommages. Dans ce nouvel
exercice de haute voltige, à quel trapèze-volant allais-je pouvoir
me raccrocher ?
Radio Toulouse Pyrennées
en 1950
Celui que je trouvai à ma portée n'était
autre que la récente station Radio Nationale de Toulouse-Pyrénées
qui venait de s'installer sur les Allées Jean Jaurès. Grâce
à d'amicales relations nouées soit dans les deux anciennes librairies,
soit aux Editions Chantal je fus amené à participer à des
émissions de chroniques régulières, aussi suis-je devenu
un habitué de la maison et, en raison de ma nouvelle disponibilité,
me fut proposé de remplacer certains titulaires anciens.
Je me liai d'amitié avec le sous-directeur de la station qui, connaissant
mes difficultés financières, m'engagea officieusement comme homme-à-tout-faire
à cette radio toulousaine d'où avaient disparu, du fait de l'état
de guerre, une partie de ses speaker, de ses chroniqueurs, de ses reporter,de
ses animateurs, bref,des indispensables collaborateurs de son fonctionnement.
J'appris donc, sur le tas, aidée par ma collègue et amie speakrine,
à rédiger les bulletins d'information du jour, à composer
des chroniques de circonstance, à partir en reportage et à interviewer
les personnalités de passage dans la région. Un jour, je reçus
la mission d'accomplir un reportage important (il ne m'avait était été
donnée aucune consigne de la façon d'opérer) . La tâche
était pourtant délicate.Il fallait assurer la célébration
du centenaire de la mort de Eugénie de Guérin, la soeur de Maurice,
l'un et l'autre célèbres écrivains. Elle devait être
présidée par les plus hautes autorités locales et nationales
laïques et religieuses; Le discours officiel de cet anniversaire devait
être prononcé par François Mauriac, prestigieux ami «
guérinien », dans le pac du château du Cayla à Andillac.
De retour à Toulouse, le lendemain, j'avais hâte d'écouter
mon reportage et me rendis à la station Toulouse-Pyrénéees,
aux Allées Jean Jaurès pour en écouter la retransmission.
J'étais seul, dans le studio, à en prendre contact. En l'écoutant,
je me rendais compte du risque de la direction d'avoir envoyé un jeune
inconnu, inexpérimenté, sans expérience, sans aucune référence
dans ce difficile rôle, pour assurer devant un vaste public (c'était
relié sur la chaîne nationale) une mission aussi délicate
où étaient mis en cause d'aussi éminents personnages.
A y réfléchir, j'étais fier de m'en être si honorablement
sorti. Je me précipitai auprès des responsables pour connaître
leur opinion. Ni le directeur, ni le sous-directeur,ni aucune autorité
plus ou moins compétente n'avaient écouté la moindre partie
de mon reportage.
Je déplorais cette irrévérence vis à vis des auditeurs
et le mépris, plus ou moins conscient, de ceux qui étaient chargés
de diffuser l'information. je n'avais quand même pas, à cette maison
de la Radio, que des désillusions. Pendant le peu de temps de mon séjour
j'ai pu diffuser quelques pièces radiophoniques, adapter le roman de
« Venturetta » d'Isabelle Sandy et évoquer la carrière
du ténor toulousain : Jean Ibos. En l'honneur de mon pays de Thiérache
j'ai monté un récit épique : « Brin d'osier...Brin
d'osier » où j'ai puisé mes sources dans « Miarka,
la fille à l'ourse » de Jean Richepin. sur le thème d'un
mariage à contre-coeur j'ai bâti un mélodrame : «
Vive la mariée! ». Sans compter les rubriques et pochades de circonstance.
Un article sur l'auteur dans
"Les nouvelles littéraires"
Le plus enrichissant apport de cette période fut ma collaboration avec
la speakrine en place, A.G., la seule rescapée de la coupe sombre de
ces quatre années de guerre. Grâce à elle j'ai pu m'initier
à toutes les habiletés et même aux roueries du métier
mais ce qui était le plus important c'était notre sentiment commun
à s'émouvoir d'une certaine surréalité des choses.
Aussi, en raison de notre commune mentalité dans ce domaine, A.G., dès
la lecture des premières pages des Enfants de Lumière, était
conquise par son atmosphère et aurait voulu, plus ou moins, participer
à sa conception. Mais, au moment de notre rencontre,le roman était
pratiquement terminé, il ne restait qu'à assurer la tâche
matérielle, « taper » le manuscrit pour qu'il puisse être
soumis à un éditeur. C'est ce qu'elle me proposa puisqu'elle pratiquait
la dactyloraphie.
Mon premier mouvement fut d'envoyer mon manuscrit à Emile Paul puisque,
en 1947, c'était encore cet éditeur qui publiait : « Le
Grand Meaulnes ». J'avais une telle vénération pour cette
oeuvre et pour son auteur que je ne pouvais que marcher dans chacun de ses pas.
J'aurais dû m'en douter, cet éditeur refusa de l'éditer
comme il avait dû le faire pour bien d'autres propositions. D'ailleurs,
sur la dernière page de couverture de l'exemplaire du Grand Meaulnes,
en ma possession, il n'y a pas d'annonce au catalogue qui n'ait un rapport avec
cet cet auteur mythique.
Je ne me souviens pas comment a été choisi le nom de l'éditeur
suivant : Calmann-Lévy. C'est sans doute A.G. qui s'était chargée
de l'expédition car j'ignorais l'existence de cette maison.
Quand je fus mis en rapport avec son directeur littéraire, le fils de
Lucien Descaves, un des premiers académiciens Goncourt, celui-ci me fit
savoir que c'était sa femme qui, la première, l'avait révélé.
Un soir, elle l'avait emporté au lit pour soi disant s'y endormir dessus
en le survolant. Non seulement elle ne le survola pas mais en lut attentivement
chaque ligne. Le lendemain matin elle déclara à son mari : «
Je viens sans doute de lire, hier soir,le meilleur livre de la saison prochaine.
»
Quelques jours plus tard, je recevais de l'éditeur un contrat à
signer Après la sortie des premiers exemplaires des Enfants de Lumière,
les comptes-rendus des chroniqueurs littéraires ne démentaient
pas la prévision de madame Descaves. Le premier à le proclamer
fut Robert Couplet du Monde dans le journal du 22 octobre 1949 : «On
ne résume pas une hitoire impalpable, écrivait-il, et devant tant
de grâce on juge bien lourdes les objections que l'on pourrait faire.
Certes, le grand « secret » qui est la raison de vivre des quatre
petits enfants d'un village perdu dans la forêt, c'est le secret qui fut
celui d'Alain Fournier... »
Comme l'éditeur m'avait abonné à « L'Argus de la
Presse » je reçus les coupures de journaux correspondant à
la publication de mon roman, plus d'une soixantaine, qui répétaient
plus ou moins les mêmes louanges. Il y eut toutefois un « coup de
pied de l'âne », un chroniqueur de : « Aspect de la France
» qui crut bon d'apporter une note discordante : «Jean Hannoteaux
croit avoir écrit le Grand Meaulnes. Il a seulement écrit Les
Enfants de Lumière. » Certains, sans doute, lisent ces lignes
comme un blâme, d'autres peuvent aussi, en raison de la performance d'imitation
du chef d'oeuvre, les considérer comme un compliment.
Quelques mois plus tard, les journaux donnaient les pronostics pour les grands
prix littéraires de l'année et chacun accordait une chance aux
Enfants de Lumière dans l'une ou l'autre course. Le 26 octobre, l'hebdomadaire
« Carrefour » le citait comme favori et même outsider.
Certes, il ne fut pas couronné mais je m'estime heureux que pour le Goncourt,
le Renaudot, le Fémina, l'Interallié il fut chaque fois «
nominé » comme on le dit dans le jargon du jour.
Près d'une soixantaine d'années après la parution de ce
roman et, le considérant avec un tel recul, j'aimerais rappeler certains
éléments de son élaboration.
D'abord le titre.
je ne l'ai pas admis d'emblée, je voulais qu'il se formât des éléments
originaux de sa conception. ils étaient de la même nature que ceux
de mon premier ouvrage : « La Jeune Morte », c'est à dire
de mes années d'enfant et, principalement d'enfant-de-choeur. Dès
l'âge de cinq ans, le dimanche, je portais déjà la soutane
rouge et le surplis où mes pieds,d'ailleurs,s'y entravaient. Les cérémonies
religieuses, avec leurs rites, leurs chants et les volutes de l'encens avaient
fortement imprégné ma sensibilité.
Dans mon histoire je ne voulais certes pas me limiter au petit monde du sanctuaire
mais j'en retenais sa marque du sacré. Pour le titre j'ai donc retenu
la distinction que fait l'Evangile entre « les enfants du monde »
et « les enfants de lumière ». En effet, même loin
de l'église et du choeur je remarque que les enfants restent marqués
par cette différence. En
énumérant les titres des chapitres se déroule un bref commentaire
de l'ouvrage :
«Le
porche du cimetière s'ouvre sur la forêt »
Par le
dessin exécuté par mon fils Francis, pour la couverture, à
travers les ferrures ouvragées se devinent des tombes, des chapelles
funéraires et deux ou trois silhouettes de cyprès. La forêt,
plus ou moins brousailleuse, semblerait vouloir l'envahir. En filigrane apparaît,
fantomatiquement, une biche, l'âme de ce lieu.
C'était, tout à l'heure, à l'église, le pitoyable
enterrement d'une jeune mère avec, seul , au banc de la famille, la
présence d'un enfant de huit à neuf ans.
La dernière image montre le vieux curé ramenant au village,
le prenant par la main, un orphelin désemparé.
« Le vaisseau de
Monseigneur prend la haute mer »
Comment ai-je imaginé que le presbytère
de ce petit village possédait une chambre spécialement aménagée
pour les visites très éventuelles de l'évêque ?
Cette chambre luxueuse, quelque peu fanée où était suspendu
un grand Christ d'ivoire « souffrant sur velours rouge »
( je me souviens de ce détail qui s'était imposé comme
si je l'avais vu en réalité.)
Ce vieux curé ressemble à celui que j'ai connu à Origny,
dans ma paroisse d'enfant, avec sa réserve, sa bonhomie et ses trésors
de tendresse bien cachés. Aïda est la copie de la bonne qui le
servait, elle était naturellement « d'âge canonique »,
c'est à dire qu'elle ne paraissait d'aucun âge. elle aussi,sous
son long jupon et ses larges fichus, elle refoulait des tendresses maternelles.
« Ma colombe nichée
aux fentes des rochers »
N'est-ce pas une colombe cet enfant minuscule,
blotti dans ce trop large lit réservé à Monseigneur?
Chaque matin, au lieu de retrouver l'étroite cuisine de la maison familiale
il était emmuré, avec le curé, dans la monumentale mais
pourtant petite église où il lui faisait servir sa messe. Il
y découvrait les hautes voûtes du choeur, les vitraux habités
d'angelots et d'animaux fabuleux. dans la nef ne remuaient que les ombres
de quelques vieilles paroisiennes.
Parfois il accompagnait le curé, à l'extérieur, dans
sa visite aux malades, traversant des pâtures humides de rosée
ou, sur des talus, dominant la masse sombre de la forêt; ce qui lui
rappelait un voyage en train avec son père et que ses yeux plongeaient
plus loin que les lisières.
Dans l'église, les soirs de mai, Sylvestre aimait assister au «
Mois de Marie ». Il se laissait bercer par les litanies qui, inlassablement
répétées,lui rappelaient le lent bercement du berceau
et l'endormeuse chanson d'une comptine: « Priez pour nous! Priez pour
nous!... »
Un autre lieu presque aussi sacré que
l'église c'est l'école. C'est là que l'orphelin fait
connaissance avec Grataigne. Leur amitié se nourrissait des petits
services que celui-ci sortait de son plumier : Un crayon de couleur, une éponge
humide, un rasoir à lame pour aiguiser les mines et le bidon de cidre,
les après-midis d'été, avec sur le ventre de métal,
les gouttelettes de buée.
Après Grataigne, Lotrane, qui traînait toujours avec lui son
odeur d'étable. Avec Sylvestre ils se retrouvaient à la sacristie
où ils se complaisaient à admirer les chasubles suspendues les
unes contre les autres comme une exposition de trésors. Et surtout
l'uniforme du Suisse avec le bicorne à plumes.
Et enfin, le plus âgé et plus dégourdi de la bande, Sanfre,
qui soignait son propre rucher et la ruche du curé.
Tous les quatre, le jeudi, ils se retrouvaient à l'étang pour
essayer de surprendre, sur son nid, un héron. Il fallut bien des visites
avant de le voir, un soir,dans le soleil couchant, les ailes étendues
au point qu'on aurait pu compter les plumes.
M. Leroy, le maître,avait relégué Sylvestre qui, semblait-il,
le perturber sans qu'il sache pourquoi et il l'avait installé sous
l'escalier du grenier. Un grenier ! Et dans une école ! Là,
l'enfant y découvre la tête empaillée d'une biche qu'il
retrouva, par la suite, sur pied et vivante, dans une lecture que le maître
faisait lire à haute voix, à tour de rôle. Sylvestre se
passionnait déjà pour cette histoire quand,un beau jour, sans
prévenir,le livre lui fut brusquement retiré et remis à
un élève placé au devant de la classe.
il le retrouva dans la chaire de M. Leroy et c'est ainsi qu'il put lire à
son aise la fin de cette histoire. D'après le livre ce n'était
qu'une légende mais, pour Sylvestre, la biche était bien vivante
et même trottait dans la forêt des environs.
Les abeilles font des
signes
Depuis que, quelques années plus tôt,
j'avais rencontré, au nord de Villneuve de Marsan, dans la Grande Lande,
le jeune meneur de ruches, j'avais gardé de ce ce contact un souvenir
émerveillé d'où pouvait naître également
un climat de légende. Les abeilles, ces filles du soleil et mes Enfants
de Lumière, devaient avoir d'intimes relations. Il fallait qu'elles
témoignent.
Avant de mourir il faut
passer les consignes
Les jours et les nuits passés à
la ferme des « Bonnes gens » et dans le cuvier de madame Leroy
sont comme une longue veillée d'armes en vue de projets pour la découverte
du Secret.
A la parution du roman, le chroniqueur du Monde, dans sa rubrique, écrivait
que les jeunes héros cherchaient le Secret d'Alain Fournier. Il y en
aura toujours qui seront à sa recherche.
S'amoncellent les préparatfs et les annonces de cette quête :
Le vieux vacher Cantogne, l'ancien Suisse et son mariage fantomatique, le
retour des noces des « Bonnes Gens », les enfants devant l'âtre
et le cadavre ficelé sur sa chaise. Et l'absence de Sanfre, cet enfant-apiculteur,
qui avait perdu sa foi d'enfant ou qui ne l'avait jamais eue, l'inquiétant.
Cette fois ils étaient bien en route
pour la découverte du Secret. Ils étaient trois, Sylvestre,
l'orphelin du presbytère, Grataigne, le fils du cheminot et Lotrane
, le vacher des « Bonnes gens ».Ne manquait que Sanfre, son père
l'ayant envoyé loin du village.
C'est le prélude de la grande aventure, une mesure pour rien ou presque
avant que commence le grand opéra.
En relisant mon texte avec des yeux neufs, ou du moins rénovés,
j'y découvre avec plaisir des phrases, des mots dont je ne me souvenais
plus les avoir écrits. En tous cas, ce ne sont pas ceux du Grand Meaulnes
comme certains me reprochaient d'avoir recopiés.
Les enfants éprouvent comme le creusement d'une faim, d'un appétit
qui leur fait voir et entendre des galops de biches au-dessus d'eux, dans
les arbres. Et puis voici, lorsqu'ils ont retrouvé la route qu'ils
voient arriver, toute tintinnabulante,la voiturette de la sage-femme qui les
embarque et qu'ils s'endorment contre la rassurante chaleur de l'accoucheuse,
en tournée dans ces parages.
Les moineaux ne picorent
plus dans la cour du séminaire
Ici, c'est peut-être le début
du drame ou, du moins, la formation du noeud. Tout y prépare avec ses
principaux décors de circonstance : La gare, le train, la nuit, la
forêt. Le héros principal, pour l'instant, est le vieux curé
qui, depuis l'adoption de Sylvestre, se sent un coeur de plus en plus tendre,
de plus en plus sensible. Le dépêche reçue ce matin :
un coup de poignard inattendu de la part du directeur du séminaire
: Prax, au nom sec comme un coup de trique.
Les lettres de Sylvestre sont de plus en plus révélatrices :
« On tournait en rond dans un bosquet pour faire semblant d'aller profond..
» « ..il ne doit plus y avoir de moineaux dans la cour de récréation..
» L'annonce de la disparition de l'élève, de la part
de Prax, ces trois mots assassins: « IL A DISPARU ».
On n'est plus dans la féerie d'un roman poétique, c'est la froide
réalité d'un récit naturaliste, celui d'une désillusion.
L'appel de Dieu est moins
persuasif que l'odeur des planches rabotées
C'est d'abord un retour en arrière
pour expliquer comment Sylvestre eut l'idée du retour. L'embarquement
dans un camion de débardeurs où tout devient des arbres autour
de lui, au dehors comme au dedans mais, dans la cabine, lui-même est
un arbre qui court, qui fuit ce qui le retenait prisonnier, il se libère
de ce cauchemar où tout le séminaire, avec Prax en tête,
est à sa poursuite pour le reprendre. Il parvient enfin à l'église
et le curé le trouve dans l' encoignure d'un banc.
Au presbytère, le curé et Aïda l'observent en cachette
pour deviner ce qu'il peut bien trafiquer dans la remise contigüe à
la maison. Il finira par avouer que c'est l'odeur du bois qui, chez lui, était
plus forte que ce que le supérieur appelait « la vocation ».
Il était attiré vers l'ancien atelier de son père menuisier,
il se rappelait l'odeur du bois entreposé dans la remise du presbytère.
Il avait envie de manipuler ce rabot que Aïda met sous les tonneaux de
cidre. Et puis,avouera-t-il plus tard, il y avait le père Coragne qui
lui avait fait aimer tellement le bois qu'il voulait revenir travailler à
ses côtés et ,surtout, l'écouter magnifier son métier.
Les jeunes filles fleurissent
plus tôt que les roses
Voilà un chapitre dédié
à un nouveau Sylvestre, à la fois apprenti et aussitôt
maître menuisier et à l'apparition de la jeune-fille idéale
qui va se révéler au village et qui surprend comme un miracle.
Une courte information, au début, pour signaler que Sylvestre a été
engagé comme apprenti-menuisier chez le père Coragne, menusier
de père en fils depuis de nombreuses générations. il
n'avait jamais eu d'apprentis à son atelier et il ne savait qu'en faire.
Sylvestre, lui, n'a pas besoin d'apprendre, il entra dans le métier
comme s'il menuiser d'avant même sa naissance, par intuition et surtout
par amour.
En contrebalancement de ce prodige survenait du fond de la forêt cette
amazone, archétype de l'idéale adolescente et qui, pour la première
fois, se manifestait au monde.
On comprend que les lavandières au lavoir soient décontenancées
à sa vue, que les buveurs du « Café de la Scierie »
soient médusés et que le curé, lui-même, en ait
la bouche bée et le geste interrompu.
L'un et l'autre sont un peu le « deus ex machina » de notre histoire.
La dernière biche
est à vendre
C'est un chapitre épique qui se termine
avec un cheval foudroyé sous sa charrette et, à côté,
les quatre enfants, ruisselants de pluie et encore terrorisés par cet
orage qui a tourneboulé la voiture et dont les brancards restaient
levés comme deux bras suppliants.
Mais avant, avait eu lieu un événement d'importance. c'était
la première fois que ces quatre Enfants de Lumière, cette fois
au complet, pouvaient contempler une biche empaillée avec sa blessure
mortelle visible au côté, trônant dans le salon d'un inspecteur
des Eaux et forêts en retraite. Ca ne pouvait pas se passer sans que
l'environnement n'en soit, lui, bouleversé par un orage fracassant
.
Peut-être qu'en
essayant de mourir
Ils n'ont jamais été aussi près
de la mort. C'est la tentation de ces voyageurs vers un secret. Lotrane est
un enfant fragile qui pèse moins lourd que les autres et que la moindre
brise soulève et amène aux limites extrêmes. C'est normal
qu'il entende, mieux que les autres,les galops du cheval de l'amazone, il
fait presque partie déjà de son monde et Sylvestre, lui,se sent
de plus en plus loin « sur un des nombreux sentiers d'étoiles.
»
Il y a le métier
et puis il y a le fin du fin du métier
C'est un hymne au métier! Il est rare
de rencontrer des artisans dignes de leur nom, de leur savoir par tradition
et surtout de l'acquit d'instinct qu'ils ont reçu en naissant.
Une lectrice des Enfants de Lumière, qui me félicitait de la
qualité du roman me disait : « Ce que j'ai le plus admiré
c'est ce que raconte le menuisier Coragne aux enfants. Est-ce que votre père
ou un de vos proches avait les qualités de persuasion de cet artisan
? On ne peut en parler ainsi que sans avoir approché et même
côtoyé de ces géniaux artisans. J'eus du mal à
dissuader ma questionneuse. Mon amour du bois et de la menuiserie vient tout
simplement de mes rares visites chez un ami de mon père, dans son atelier
de charpentier. Déjà, dans mes premières années
de séminaire à Saint Clément, au confesseur à
qui j'avais révélé mon envie d'en sortir et qui me demandait
ce que j'envisageais de faire au lieu de la prêtrise, j'avais répondu:
« Je voudrais être charpentier. »
Ce chapitre est bien la célébration du métier avec la
jubilation de Grataigne : « Sylvestre, j'ai la casquette! » Triomphant
il ajouta : « Regardez, elle me va bien! » Son métier lui
allait bien.
Cette description de la procession s'ouvre
au milieu du livre comme une lumineuse rosace au coeur d'une cathédrale
. Au centre, le soleil de l'ostensoir
( ça me rappelle ce vers de Baudelaire : « Ton souvenir luit
en moi comme un ostensoir »). Et, autour, encerclées chacune
dans leurs traits de plomb, comme autant de miniatures, toutes les diversités
de la paroisse avec, comme appariteur et meneur de jeu : Sylvestre, revêtu
du rutilant uniforme du Suisse, celui de Cantogne, ramené à
la mesure de l'enfant par les soins d'Aïda.
C'était la suite du chapitre précédent du défilé
des métiers , avec cette procession, leur glorification.
Je voudrais m'appesantir davantage sur celui-ci parce que je trouve dans son
énumération descriptive une raison d'enchantement, propice à
l'ensemble du récit.
La procession, sortie de l'église, s'installe dans la rue principale.
Après les enfants de choeur, les enfants des écoles. La scierie
est représentée par la bannière de Saint Joseph, patron
des ouvriers. Celui qui la porte est habillé comme à l'usine
mais avec un vêtement propre où se dessinaient encore les plis
de l'armoire. Viennent ensuite les porteurs de symboles : Des scieurs de long
déroulant une scie à ruban, des débardeurs, la hache
sur l'épaule, des charpentiers, soutenant deux larges chevrons en forme
de croix, des menuisiers et leurs boiseries ouvragées. Sanfre, son
père et deux autres apiculteurs, promènent une ruche en verre
avec une population d'abeilles vivantes, des cultivateurs entourent une charrette
enrubannée, pleine de sacs de grains. Grataigne, casquette en tête,
accompagne le groupe des employés de la gare, des empailleurs et leurs
oiseaux empaillés, des chasseurs avec leurs filets et leurs appeaux.
Après le groupe des hommes, vient celui des femmes avec la bannière
de Sainte Anne dont madame Leroy et la Sage-femme en tiennent les cordons.
Elles entraînent derrière elles des fileuses et leur rouet, des
vannières et leurs corbeilles d'osier, de cueilleuses de bonnes herbes
et leurs bouquets...
Après les bannières, le drapeau de la paroisse, la clique des
huit clairons et trompettes et deux rangées de tambours.
Enfin venait le dais, enfermant M. le curé et l'ostensoir, entouré
d'encenseurs.
Sylvestre,en tête, dans ses habits d'apparat, fait l'effet d'un berger
de passage suivi de sa docile troupe de moutons. Il mène son troupeau
comme un vrai berger, il est la tête de ce village en marche....
La procession approche de la forêt. Sylvestre a le pas moins assuré,
il entend, face à lui, comme une autre procession en marche elle aussi.
Il se demande si ce n'est pas son propre coeur qui s'affolle
Tout à coup il ouvre les bras, tenant d'une main la canne à
pommeau d'or et de l'autre la hallebarde : Un cheval lancé au galop
débouche d'un des sentiers de la forêt. Face à la procession
l'animal se cabre sous la pression des mains de la cavalière.
C'était la première fois qu'il rencontrait l'amazone.
O Sainte nuit ! O nuit
sacrée !
Quand je retrouve ce chapitre de la nuit de
Noël après soixante ans d'oubli, je le relis avec une certaine
mélancolie. Sylvestre se sent à la limite de son enfance, il
y rejoue, dans la crêche, le personnage de Cujaune de « la Jeune
Morte » pour remplacer le berger en plâtre brisé et qui,
au matin, se trouve « rejeté de tous les paradis ».
Heureusement qu'aujourd'hui, dans la crêche, il se retourne sur une
jeune-fille agenouillée devant lui alors qu'un cheval hennissait et
piaffait sur les marches de l'église.
Les gendarmes doivent
rejoindre
Il y a des mots dont le sens se prolonge et,parfois
aussi, mène ailleurs. On l'a ressenti déjà avec le cimetière,
l'école,la gare, la forêt, on peut y ajouter : « Les gendarmes
». Ils inspirent toujours un dérangement, une panique. Dans les
récits actuels ils peuvent remplacer le fatum antique qui, au théâtre,
était un des ressorts principaux de l'action.
Ici, le drame de la disparition de Sylvestre, du cercle fermé du presbytère,
a gagné la place publique à cause des enquêtes.
Dans le pays, ce qui symbolise un peu la présence des gendarmes, de
jour et de nuit, c'est cette lanterne que le curé a installé
dans le clocher.
Grataigne, malgré la dure réalité de sa fonction, cède
à ses fantasmes d'enfant prolongé , quoique perché sur
les toits des trains, dans son étroite cabine de serre-frein, en prenant
parfois dans ses bras, la jeune-fille au cheval pour mieux chevaucher ses
rêves.
Le curé fait sa
tournée d'hiver
En raison du silence imposé par l'épaisse
couche de neige, ce qui est presque inaudible en temps ordinaire,se faisait
entendre. En particulier la confession de Lotrane dans la confortable chaleur
de l'écurie qui favorise les confidences...
Cette nuit de Noël, ce qui est mentionné comme important ce n'était
pas la messe de minuit mais le comportement de Sanfre, dans l'Auberge de la
Scierie, avec la serveuse jeannette et, plus en profondeur, l'apparition de
la biche et du cheval qui piaffait d'impatience devant l'église apparemment
vide...
Ces coups de pied du cheval frappaient les marches de l'église comme
les trois coups au théâtre, au lever du rideau.
La moisson est grande
mais les ouvriers peu nombreux
O
n sent bien au tour de l'histoire qu'elle
est sur le point de finir. Comme, quand on entend, dans l'orchestre, les violons
monter de plus en plus haut dans l'aigu, on sait bien qu'ils ne pourront guère
poursuivre cette ascension avant qu'on n'entende plus le moindre son.
Au point où nous en sommes Coragne s'est surpassé dans l'exaltation
de son art d'ébéniste. Peut-être que le charme pourrait
se poursuivre mais faudrait-il alors que l'instrument soit entre les mains
d'un plus prodigieux virtuose.
Comme le chante, pour la Vierge Marie, le Magnificat :
« Il a dispersé ceux qui s'enorgueillissaient
dans les pensées de leur coeur
Il a renversé les puissants, il a élevé les humbles....
»
Au frustre Coragne Il a envoyé ses messagers et, derrière
le voile de son bandeau lui fit deviner les plus beaux châteaux. A
Grataigne,du haut de sa guérite de serre-frein Il lui fait découvrir
un troupeau de biches. Mais Il réserve davantage à l'Enfant
de Lumière par excellence, à ce Syvestre dont on attend le
retour comme le Messie.
N'ayez pas peur des yeux
nouveaux qui vous regardent...
Cette fois tout le village ou presque est
réuni dans une veillée à l'école pour de menus
travaux. Chacun amorce une histoire, une de ses mésaventures mais sans
la conclure comme dans un accès de pudeur. Tous font allusion au Secret
des Enfants mais à mots couverts et sans avoir l'air de trop y croire.
Grataigne, enfermé sous le bureau du maître s'est assoupi. dans
son sommeil les rumeurs de la salle viennent de temps en temps le submerger
comme pour le noyer. Et puis, tout à coup, le dormeur se lève,
se dresse le plus droit possible. Son doigt levé montre à tous
que le rêve est plus vrai que la réalité : Une biche est
derrière la vitre de la porte d'entrée de l'école, avec
son petit museau noir et le petit nuage de son haleine.
Celui qui croit sera sauvé
Tout raconteur d'histoires à suspense,
jusqu'à l'avant-dernière page , laisse croire à son lecteur
que son récit n'aura pas de fin. C'est l'astuce des : « Mille
et une Nuits »;
Ici, c'est Lotrane et Grataigne qui se chargent de nous donner le change en
nous embrouillant dans le nouveau mystère du château introuvable
de Coragne. Mais, en réalité ils ne font qu'embrayer sur la
première piste de la Légende du comte Verdas. Ils ont bien des
atouts pour convaincre les incrédules mais la garde-barrière
où ils aboutissent les relancent davantage dans l'inconnu. Quand le
train attendu pour les enfants s'annoncent, la garde-barrière a beau
agiter son drapeau, il ne s'arrêtera pas. C'est que le récit
n'a pas encore trouvé sa chute.
Une biche n'a pas le droit
de traverser un village
Cette foi, la biche a pris la première
place et sa présence se révèle partout, à tout
instant, en n'importe quel endroit. Elle supplante en intérêt
tout ce qui peut advenir dans le village. On ne pouvait plus douter de sa
réalité mais personne n'a su la retenir ni la capturer. Elle
produisit son effet de surprise autant sur le curé, sur Aïda,
sur Grataigne ou Lotrane, sur Coragne que sur des gens sans importance comme
la femme du facteur.
L'impression la plus sensible fut accordée au menuisier qui la confondit
avec la forêt elle-même, avec chacun des arbres, avec les brindilles
qui cinglent au visage, avec les racines liantes et les cimes pleines d'oiseaux.
Le contact le plus funeste se fit sur Sanfre, ivre de vin et de rage contre
la serveuse. Lorsque les clients signalent « la bête » derrière
la vitre du café, une sorte de rage l'envahit. Il croit voir se dresser
devant lui la réplique de son contraire, il ne la supporte pas et ne
peut qu'en détruire l'insultante image. C'est le drame qui devait clôturer
cette trop énigmatique histoire mais son coup de feu n'a pas pu supprimer
l'ineffaçable image de l'enfance qui, malgré cet acharnement
contre elle, n'a pas disparu et qui brille toujours sur le pays.
En relisant cet avant-dernier chapitre je
me demande si ce n'est pas le plus sérieux, celui qui s'attaque à
l'ambiguité de cette histoire.
J'ai d'abord envisagé de ne conter qu'une suite d'anecdotes merveilleuses
et poétiques mais en mêlant l'histoire du vieux curé et
du jeune enfant je ne pouvais pas éviter d'empiéter sur le religieux.
La poésie et le religion sont deux domaines prallèles et également
transcendants. C'est une démarche bien risquée de les emprunter
ensemble car il n'y a pas toujours concordance. ce sont ces problèmes
qui ont fini par assaillir le vieux curé et le placer en situation
délicate. Parfois les deux transcendances s'embrouillent et risquent
de déboucher sur la sorcellerie et le satanisme.
Notre curé, qui possède un tempérament paysan essaye
d'éviter ces pièges et de s'y laisser enfermer;
Avant le happy end soulageant il fallait , une dernière fois, maintenir
l'intrigue serrée et , pour mieux jouir d'une délivrance heureuse,
avoir connu la crainte et même l'angoisse.
Le printemps fleurit toujours
trop vite
Ce dernier chapitre est plein d'invraisemblances
et d'inconséquences comme le sont souvent les miracles mais il n'en
est pas moins le plus touchant et je l'ai écrit les larmes aux yeux.
La nature se manifeste par un printemps précoce alors que notre vieux
curé revient fourbu de son entrevue avec les gendarmes.
Mais, dès les premières lignes éclate un coup de tonnerre
: la découverte, au pied de son cheval, de la jeune amazone, saignant
de sa blessure mortelle au front.
Ce matin, tout se décide très vite comme si le destin est pressé
par la succession des événements qui vont suivre . La jeune
morte est déposée dans un salle de l'école où
l'instituteur organise une veillée funèbre. Sanfre, pourtant
suspect d'être à l'origine de ce meurtre, tient à rendre
visite à la jeune-fille. il est chassé une première fois
mais il revient plus tard et manifeste un réel chagrin.
Coragne, sollicité pour fabriquer un cercueil , utilise le coffre d'une
horloge qu'il avait exécutée pour un grand père dont
la petit fille mourante aurait aimé faire corps avec l'horloge de la
maison. C'est ainsi que sous le ciseau de Coragne ce meuble fut conçu
pour que l'horloge et l'enfant y soient confondus. Le gand- père avait
renoncé à ce projet et le coffre était demeuré
inutilisé.
Le lendemain matin, à cet enterrement expédié à
la va-vite, le village alerté veut suivre le cercueil qu'une jeune
morte, précédemment, lui avait destiné.
Alors qu'au cimetière, les fossoyeurs achèvent de combler la
fosse, la biche survient sur la tombe, s'y aménage une place et meurt
dans une courte agonie.
Au retour du cimetière chacun reprend sa place au village et le curé
finissait de ranger sa chape et son étole quand Coragne survient, tout
essouflé par sa course; Il demande au curé de la suivre sur
le champ. Quelques instants plus tard, il se trouvent à l'atelier .
« A son établi, Sylvestre rabotait la planche qu'il avait commencé
de polir la veille de Noël...Il poussait le rabot sans nervosité
ni lenteur et il avait toujours le tic de souffler sur la planche quand il
en admirait le poli. Il se sentit observé, alors il se retourna et
il sourit.
Le père Coragne, le curé et Aïda demeuraient sur la porte;
tous les trois, les yeux mouillés de larmes de joie tendaient les bras.
Personne n'osait franchir cette petite distance qui les tenait encore de part
et d'autre d'une frontière que seul l'enfant pouvait franchir. »
C'était bon de m'être un peu
attardé au souvenir des mes « Enfants de Lumière »
sur lesquels j'aimais me replier au plus chaud de ma mémoire. Mais
j'avais d'abord à m'apitoyer sur d'autres enfants qui, d'abord un,
puis deux, puis trois, s'asseyaient autour de la marmite familiale. Ce n'étaient
pas les maigres allocations de chômage, même augmentées
des dérisoires cachets de l'O.R.T.F. qui me donnaient le moyen de la
faire bouillir.
Nous étions en 1949 et, à cette époque, faute de crédit
ou d'imagination,la Radio d'Etat régional remplissait ses programmes
par des causeries où « tous-ceux-qui-avaient-quelque-chose-à-
dire-aux- chers auditeurs » se passaient le micro à longueur
d'écoute.
Un de ses « causeurs » remarqua particuilèrement mon air
de chien mal nourri et s'apitoya. C'était le directeur d'une importante
école de commerce de la ville, fils ou petit-fils d'un ancien maire
de Toulouse dont une des principales avenues porte son nom. Comme il me voulait
plus de bien que je n'en voulais pour moi-même, il me poussa de force
dans les bureaux d'une agence d'une grande firme de fabrication de lampes
électriques qui recherchait un candidat,à Toulouse, pour la
remise en train de leur réseau commercial. Je le remerciai certes mais
je lui signalai ne pas être en convenance pour une telle tâche.
Je lui fis remarquer que, dans le domaine électrique j'étais
complètement ignare au point de confondre les volts et les watt. Par
ailleurs je n'avais aucune aptitude à me lancer dans des projets commerciaux.
- « Non! Non!, trancha-t-il, vous n'avez pas le droit de refuser
une telle offre. Croyez-moi,de toute ma carrière de directeur d'école
de commerce, je n'ai jamais eu l'occasion de proposer un tel pactole à
un de mes anciens élèves. Je vous attends demain dans mon bureau
pour que nous prenions contact avec cette firme. »
A partir de la déclaration du directeur de l'Ecole
de Commerce j'ai eu l'impression d'avoir subi un sort qui me poussait à
accomplir des actes contre nature, je devenais un autre moi-même. En
effet, quelques semaines plus tard, je répondais à la convocation
du siège d'une importante fabrique de lampes électriques pour
y accomplir un stage d'initiation à la commercialisation de ses différents
produits. Je devenais un apprenti vendeur.
Malgré mes appréhensions j'en ai gardé un bon souvenir,
il faut dire qu'en même temps, je faisais d'autres rencontres plus agréables
dans le voisinage des parents parisiens qui m'hébergeaient, la durée
de ce stage. Ils tenaient, au coeur de Montmartre, une petite épicerie-buvette
qui avait pour clientèle la gent artiste du lieu. Ils possédaient
en permanence, entre autres, les cartes d'alimentation de Le Vigan, célèbre
artiste de cinéma mais suspect de collaboration, d'un de mes auteurs
préférés, Marcel Aymé, du sulfureux Céline
et, surtout, très proches de mes logeurs, du peintre Gen Paul. Dans
les temps libres que me laissait mon initiation de futur vendeur, je me rendais
dans l'atelier de cet artiste singulier. Ce quinquagénaire, unijambiste
de par la guerre de 14, s'était épris d'une toute jeune Toulousaine
qui, sitôt mariée, s'était enfuie dans les bras d'un boxeur,
de passage sur la Butte. Ma qualité de Toulousain me valut d'être
adopté par le cocufié comme confident capable d'atténuer
les transes de cette séparation. C'est ainsi qu'il m'invitait à
le suivre dans ses différentes fréquentations, ce qui me permit
d'être présenté à son ami Marcel Aymé. Mais
cet écrivain talentueux était malheureusement pour les étrangers
un bloc de silence, de discrétion, de retrait, d'effarouchement. Je
n'ai pas obtenu la moindre confidence. En compensation, Gen Paul m'invita
à la table de plusieurs restaurants qu'il avait décorés
de ses fresques, pleines de mouvements et de criantes couleurs. Pendant les
repas il me dévoila les raisons de sa façon de peindre, provoquée
par son handicap et l'empire sur lui de sa passion pour la peinture . Ces
confidences anesthésiaient quelque peu mes remords de m'être
laissé embarqué dans cette nouvelle aventure et les arguments
de mon Mentor me confortaient : « jamais, m'avait dit ce bienfaiteur,
vous ne trouverez une semblable situation qui, pour un sans métier
comme vous, vous permettra de gagner autant d'argent. » Il avait
raison. Comparativement aux salaires de mes emplois précédents,
sans aucune prétention exprimée, il m'était proposé
du simple au double. Et pourtant il n'était exigé ni référence,
ni titre, ni technique spéciale. Tout simplement j'avais les qualités
recherchées : un besoin pressant d'argent, un petit standing intellectuel
et social et pas de métier. Je n'apportais donc qu'un seul capital,
celui de ma dignité. Comme aux jolies filles, qui n'ont que leur seule
vertu, on me demandait de la négocier. Ce salaire de la honte sera
toujours en dessous de la valeur sacrifiée.lien
sur UN DROLE DE VENDEUR
Retour au menu
©Mon
domaine
Hannoteaux Michel