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AUTOUR

L’HERBIER
Je possède un herbier contenant près de 550 espèces de plantes et, récemment, j’ai établi , par ordinateur, des classements par noms français, noms botaniques latins, par familles, par lieux géographiques et par années.

Tulipes sauvages de la clape

C’est ainsi que je me rends compte que mes premiers échantillons de plantes ont commencé à être classés à partir de 1945 et tout le long des années suivantes jusqu’à l’an 2000, où j’ai décidé d’en clore la liste . S’il me prenait l’envie de classer d’autres plantes il faudrait envisager l’ouverture d’un autre herbier. Mais, apparemment, l’ancien me suffit et je ne sens pas l’utilité d’en ouvrir un autre. Cet herbier, quand je le consulte dans l’un des ces 21 classeurs, déploie le diaporama de ces voyageurs qui projettent sur l’écran les différents sites qu’ils ont visité. Se côtoient , en raison de leur classement alphabétique, des échantillons dont les descriptions et leurs commentaires ont, parfois entre eux, plus d’une cinquantaine d’années. Le jaunissement de certains feuillets trahissent leur vieillesse et me les rendent d’autant plus attendrissants. Certaines plantes n’avaient d’abord bénéficié que de notifications sommaires. Par la suite, sans doute après l’acquisition de renseignements nouveaux, une encre différente fait part de ces nouvelles informations. Ce qui montre qu’à tout moment je les consultais, les complétais, les enrichissais.
C’est à partir de la deuxième année environ que je décidai d’illustrer chaque plante d’un double photographique, l’une in situ pour que la plante soit perçue dans son milieu naturel et une autre en gros plan comme vue à la loupe. Ces photos n’ont pas été forcément été prises le même jour ou même la même année que la cueillette de l’échantillon présenté. Tout d’abord parce que ma décision d’illustrer l’herbier n’avait pas encore été prévue ensuite parce que je n’ai pas toujours possédé un appareil photographique qui me permettrait de donner des images satisfaisantes et enfin parce que, parfois, un nouveau cliché me semblait préférable au précédent. Je suis un peu comme le peintre qui garde sa toile à l’atelier et qui éprouve le besoin de reprendre un détail ou qui voit son sujet mieux mis en valeur dans un remaniement du tableau.

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L’HIBISCUS ROSEUS
Dans les quinze premières années je me suis contenté de collectionner les fleurs les plus courantes et surtout les mellifères en raison des besoins de documents pour mes chroniques des revues apicoles. Puis, au contact de mon maître, le docteur Bosc, qui, lui, ne recherchait plus que la plante rare, j’ai pris également goût à une telle quête. C’est du moins ce que mon journal relate :

L'Hibiscus roseus

« .......Lorsque cet été de 1979, j’avais annoncé au docteur Bosc que je me rendais dans les Landes, il m’apprit que dans cette seule région de France et même d’une partie de l’Europe, croissait spontanément l’Hibiscus roseus ou Ketmie.
J’allais ainsi pouvoir, à l’instar des grands pionniers, découvrir une plante rare. « Originaire du Sud-Est de l’Europe ou de l’Afrique, seul l’Hibiscus roseus Thore existe dans des formations spontanées ( étangs landais ). Très rare, à protéger strictement » (guide des plantes et fleurs de l’Europe.- Oleg Polunin et Gérard Aymonin ).
Dans cette première conversation téléphonique les indications du D. Bosc restaient assez vagues. L’endroit se situait, disait-il, au bord de l’Adour près d’une agglomération nommée Saint Jean ....de quelque chose. J’avais regardé la carte Michelin et j’avais repéré un Saint Jean près de l’Adour aux environs de Tartas et je m’apprêtais à m’y rendre puis décidai d’attendre des renseignements plus précis. Lors donc de mon séjour estival à Villeneuve, résidence de mes beaux-parents, je renonçai à découvrir cette « île au trésor ».
Revenu d’un voyage dans le Nord et devant retourner quelques jours à Villeneuve de Marsan je retéléphonais au D. Bosc qui me donna les précisions suivantes : « L’emplacement des Hibiscus se trouve à quelques kilomètres de Saint Jean de Marsacq, près de Saint Vincent de Tyrosse. Vous prenez dans cette ville la direction de Peyrohrarde et vous passez sur le « pont de la Marquèze » . Une fois celui-ci franchi, vous descendez, toujours en voiture, un chemin sur votre droite qui vous mènera à des marécages près de la rive gauche de l’Adour. Je m’y suis rendu au mois d’août mais je n’ai trouvé aucun sujet en fleur. Peut-être aurez-vous plus de chance que moi si vous y allez bientôt. Vous reconnaîtrez facilement l’Hibiscus. Son port et même sa fleur évoquent la rose trémière. C’est une belle fleur rose. »Fort de ces instructions, je décidai d’aller explorer le site et le mardi 25 septembre je partis de Villenenve, dans la matinée, muni d’un repas froid pour le midi. Je pris la nationale Mont de Marsan - Bayonne et à Saint Vincent de Tyrosse je trouvais facilement, à l’entrée de l’agglomération, l’embranchement sur Saint Jean de Marsacq. Si je donne ces indications aussi précises c’est pour celui qui désirerait se procurer la joie de cette exploration, il n’aurait qu’à poser ses pieds dans mes pas. Toutefois je lui conseillerais, suivant l’humeur de la saison estivale, de venir plus ou moins tôt dans la première quinzaine de septembre pour ne pas connaître les désenchantements du D. Bosc parce qu’il était venu trop tôt et les miens parce qu’il était trop tard. Mais revenons à mon itinéraire et à ma propre démarche de ce jour-là. Lorsque j’eus descendu du « pont de la Marquèze » vers le petit chemin indiqué je parquai ma voiture sur un terre-plein herbeux et longeai à pied des marécages dont les bords étaient garnis, sur une grande étendue, d’une plante que je ne savais pas identifier et qui toutes étaient en défloraison. Je craignis que j’arrivais trop tard, que j’étais peut-être en présence de ce que je venais chercher mais que je n’en aurais aucune certitude.
Je continuai à longer les étangs et je voyais, comme le D. Bosc l’avait décrit, les nombreuses touffes d’aster, blancs et violets qui coloraient toute cette végétation éteinte Je pataugeais dans un chemin inondé, ou par les dernières pluies ou par une montée des eaux des étangs, quand, tout à coup, après avoir dépassé un bosquet de saules, m’apparut une nouvelle berge marécageuse, sur ma gauche ,où se dressait une colonie d’une plante assez haute et largement feuillue. Celle-ci ressemblait davantage à la silhouette de la rose trémière évoquée. « Les voilà » !.m’écrias-je et je cherchais, parmi les corolles fanées, une justification colorée de l’Hibiscus roseus.
J’eus d’abord la consolation de découvrir, dans un premier groupe, une fleur dont la robe ternie rappelait que sa coloration avait été rose. J’entrai dans l’eau jusqu’à mi-jambe car cette unique hampe fleurie se trouvait, au premier rang, à l’intérieur de l’étang. Je la considérai avec ravissement malgré son aspect terne et je me mis en quête d’en trouver d’autres. J’eus la bonne fortune d’en repérer assez vite une seconde à peu près dans le même état que la première et aussi éloignée du bord. Quelques pas plus loin j’eus enfin la joie de cueillir un hibiscus roseus au meilleur temps de sa floraison, c’était l’unique échantillon que je trouvais.
Je revins à la voiture pour manger le pique-nique que je m’avais préparé. Pendant le repas je m’imaginais survenant à la période favorable et découvrant ce bord de l’étang embrasé par ces grands cierges aux flammes roses. C’est un spectacle que je me promets de connaître lors d’un prochain voyage d’été dans les Landes. Cependant j’étais assez ravi de cette aventure d’aujourd’hui et je comparais ces trois fleurs que je venais de cueillir aux Vierges qui attendent l’Epoux de l’Evangile. Toutes les Vierges Folles avaient brûlé leur floraison pendant l’été sans prévoir que l’Amoureux viendrait en ces derniers jours de septembre. Les deux premières étaient à bout de réserve de leurs forces et c’est la troisième, la Vierge Sage, qui, dans sa beauté et sa vigueur, s’offrait à l’Epoux que j’étais.

Pouvait-on trouver commentaire de ce passage de l'évangile mieux illustré et plus poétique que ces trois échantillons d’Hibiscus que je regardais alors avec la joie d’une prodigieuse découverte ? » .

En recopiant ces pages de mon journal , écrites vingt deux ans plus tôt, je devrais ajouter que, deux ou trois années plus tard, en passant dans les Landes, à Léon, à l’embarquement du « Courant d’Huchet », je remarquai un site presque aussi important d’Hibiscus roseus. Il se trouve à peu prés distant du « Pont de la Marquèze » d’une trentaine de kilomètres et sur les rives d’un cours d’eau au parcours tout à fait indépendant de celui de l’Adour.
Autre remarque. Je devine que les écologistes d’aujourd’hui doivent se scandaliser de la cueillette, par un botaniste, même amateur, des trois tiges d’Hibiscus, plante qui était déjà sur
la liste des plantes protégées. A cette époque, la réglementation était alors bien plus laxiste qu’aujourd’hui puisqu’il était de notoriété publique que les magasins de fleuriste des environs venaient s’approvisionner volontiers en hibiscus en toute impunité

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L’AIL D’HOMERE
Puisqu’il est question de « plante rare », j'appris, dans ces mêmes années, la présence d’un ail remarquable qui ne se trouve, selon Gaston Bonnier, que dans le massif audois de l’Alaric et dans quelques sites très exceptionnels. Il s’agit de : « l’Ail Moly » dont je crus bon d’inscrire son histoire dans : « L’Inventaire » ou « Un jour d’émerveillements ». Le héros de cette histoire, professeur émérite de grec et botaniste amateur, s’appelle : Julien Thiérach :

L'ail d'Homère

« ...........Un collègue du lycée de Carcassonne l’avait prévenu qu’un groupe de botanistes audois organisait une herborisation sur la montagne d’Alaric, en vue, surtout, d’y rencontrer l’Ail Moly. Le professeur de grec ne pouvait pas ne pas tressaillir à l’évocation de cette plante « homérique ».Il avait encore en tête le souvenir de sa dernière classe où par une soudaine et lyrique émotion, il rappela à ses étudiants que sa vocation d’enseignant de grec ancien lui était venue alors qu’il était, comme eux, élève de terminales, ce jour là, avait eu la visite inopinée d’un universitaire hellénisant qui avait exposé aux élèves sa façon d’entendre l’Odyssée. Il la découvrait, disait-il, comme un opéra avec ses « grands airs » qui sont d’ailleurs restés dans toutes les mémoires. L’oeuvre d’Homère était d’une convention délibérée , écrite dans un style hiératique qui lui donne parfois un certain air affecté. Il faut entendre l’Odyssée, disait-il, comme on entend une solennelle cérémonie religieuse parce qu’elle établit une relation entre les dieux et les hommes. Chez Homère, les mortels passent avec aisance de leur précaire condition humaine à celle sublimée de la dimension divine pour retourner , sans étonnement, à leur simple humanité. Pour relier ces deux états, le poète avertit, dès le premier chant, qu’il a recours à un intermédiaire : la Muse. Le truchement de la poésie est une « religion » qui permet ce va- et- vient du naturel au surnaturel.
Il termina en déclarant que dans ce fabuleux opéra qu’est l’Odyssée sont contenus tous les ressorts d’intrigues et de suspenses qu’emprunteront dans les siècles suivants le roman, le théâtre et, plus tard, le cinéma. Ils se déroulent dans un décor où se déchaînent les plus redoutables éléments du cosmos où, souvent, le ciel ou l’enfer s’entrouvrent pour les pires châtiments ou pour les plus prodigieux secours. Un tel discours ne pouvait pas laisser indifférent le cœur toujours prêt à s’enflammer d’un adolescent et ce fut pour Julien Thiérach son chemin de Damas en faveur de la langue grecque et de l’Odyssée en particulier. Il étudia ce texte dans toutes ses parties et il devint même un spécialiste de ces détails qui pouvaient poser question. C’était le cas de l’Ail Moly.
En abordant dans l’île de Aiaie, domaine de la déesse Circée, une partie des compagnons d’Ulysse furent victimes d’un philtre préparé par la divine magicienne et transformés en pourceaux. Pour les délivrer Ulysse partit à leur rencontre et, sur le parcours, rencontra Hermès qui lui conseilla de cueillir cet Ail Moly pour que celui-ci agisse en contre-ensorcellement et qu’il redonne à ses compagnons la forme humaine L’ancien professeur de grec et le récent botaniste répondit à son collègue carcassonnais qu’il s’inscrivait avec enthousiasme pour une telle expédition et se trouva au pied de l’Alaric, un matin de mai.
Lorsque il se présenta au lieu de rendez-vous il fut un peu désorienté car le collègue carcassonnais, absent, ne pouvait pas le présenter aux organisateurs de cette herborisation. Demandant à voir le responsable on l‘amena devant une femme qui, de prime abord, l’impressionna. Plus jeune que lui d’une vingtaine d’années, elle le dominait par la taille et par sa prestance. Sa chevelure rousse lui illuminait le visage où s’incrustaient deux yeux anthracite . Elle ne sembla pas intéressée à l’annonce de la profession du nouveau venu, ni par ses titres universitaires que certains de ses voisins crurent bon de décliner. Cependant elle appuya sur lui si fortement l’empreinte de ses deux grands yeux noirs que le professeur se trouva gêné et qu’il préféra tout de suite se mélanger dans l’anonymat du groupe. Il faut dire que malgré son grand âge, Julien Thiérach restait toujours sensible aux charmes féminins et il craignait qu’on s’en aperçût.
A peine le groupe avait-il commencé l’escalade de l’Alaric, alors que s’était formée une file indienne pour suivre le sentier étroit de la montagne, que s’élevèrent, à hauteur des premiers grimpeurs, des cris d’effroi et qu’une partie de la colonne s’égailla de part et d’autre du sentier dans les fourrés environnants. En queue de peloton, où se trouvait Julien Thiérach, chacun essayait de s’informer des raisons de cette panique. De bouche à oreille ils apprirent qu’une horde de sangliers avait coupé le passage aux grimpeurs. A quelques mètres de lui, le professeur entendit de la bouche d’un participant, connaissant bien le site de l’Alaric, que c’était la première fois qu’il apprenait que des sangliers hantaient ces lieux.
Quand le groupe parvint à l’emplacement de la station de l’Ail Moly, la responsable fit faire un cercle autour d’elle pour présenter la plante et commenter l’intérêt d’une telle rencontre. Julien Thiérach se souvenait de tous les détails de cette scène et ceux-ci semblaient plus présents à sa mémoire qu’ils ne le furent ce jour-là. Il voyait briller l’ail d’un jaune doré, mis en valeur par ses larges feuilles planes presque aussi hautes que les tiges.
La responsable le contournait et, de temps en temps s’arrêtant, s’adressait à son petit public. Il se rappelait très bien lorsqu’elle arriva à sa hauteur et qu’elle ne semblait parler qu’à lui-même. Son corsage serré au corps comme une vareuse d’officier et sa jupe large d’amazone lui battant les bottes lui donnaient ne allure fringante d’aventurière, heureuse de se trouver à la tête d’une troupe qu’elle commandait.
Après avoir décrit les particularités botaniques de cet ail elle fit une brève allusion au passage de l’Odyssée où Homère l’évoque d’une façon précise au chant X. A ces mots elle braqua ses grands yeux noirs sur le nouveau venu du groupe des botanistes amateurs comme si elle se disposait à l’interroger mais, après un temps de réflexion et un soupir de résignation, elle n’en fit rien et continua son exposé en tournant devant le cercle des auditeurs qui l’écoutaient, fascinés par ses paroles et probablement par sa seule présence.
La promenade se termina par une visite du sommet de l’Alaric et, après un pique-nique vite expédié, la petite troupe prit le chemin du retour.
Avant de quitter la station, Julien Thiérach avait réussi à s’approcher du massif d’Ail Moly et cueillit une fleur, à la dérobée, pour illustrer son herbier. Personne n’avait osé imiter son audace.
Pendant le trajet du retour il ne quittait pas des yeux la belle amazone qui avait agglutiné sa petite troupe autour d’elle comme, dans un essaim , la reine-abeille s’entoure de ses suivantes..
Aujourd’hui, dix ans après cet événement, il se rappelait combien il avait assimilé ce lieu de l’Alaric à l’île de Aiaie de l’Odyssée, combien il croyait avoir vu dans cette femme la magicienne Circée, combien l’incident de la harde de sangliers lui rappelait les compagnons d’Ulysse transformés en pourceaux, combien la séduction de cette femme était perceptible non seulement sur lui mais également sur chaque participant à cette herborisation.
Au moment de la dispersion du groupe, la nouvelle Circé sembla désamorcer son charme pour qu’on pût se séparer d’elle. Cependant elle les retint encore un instant pour déclarer : « J’ai oublié de vous rappeler que l’Ail Moly ne doit pas être l’objet de la moindre cueillette. C’est une plante protégée. »
Personne n’avait réagi à cette remarque et Thiérach, qui remuait entre ses doigts, cachés sous son vêtement, le petit vestige de fleur qu’il avait osé emporter, ne broncha pas.
Aujourd’hui, pensait-il, il aurait soutenu le feu des deux yeux noirs posés sur lui et aurait même déclaré : « C’est que moi, madame, comme Ulysse devant Circé, j’avais également besoin de me protéger. »


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PLANTES A HISTOIRES
En 1982 nous devenions propriétaires d’une résidence secondaire sur le littoral narbonais, à Gruissan où nous nous rendions presque mensuellement. A chaque fois, nous nous étonnons , en raison de la courte distance entre Toulouse et Narbonne, du rapide dépaysement constaté entre le climat océanique et le climat méditerranéen. Ce changement s’opère au deux tiers de
la distance, à hauteur de Capendu. Il nous arrive souvent de voir la frontière se dessiner dans le ciel qui est alors partagé, côté ouest, par un amoncellement de nuages gris et, côté est, par une immense nappe d’azur. Au sol apparaît une végétation nouvelle et, en raison de saison plus précoce, éclate parfois un fleurissement inattendu.
Ma plus grande surprise n’est pas l’aménagement récent des plages du littoral mais la découverte de la Clape qui est un des plus riches parcours pour les herborisations.
Payant d’audace, comme dans mon engagement à la rédaction de chroniques sur la flore mellifère, je me proposai comme guide de sentier botanique pour les résidents et les touristes de passage sur cette station. Engagé aussi témérairement je m’empressai de faire le tour de mes relations pour trouver un botaniste compétent et confirmé qui sache déterminer toutes les nombreuses espèces qu’un tel parcours comporte. Je finis par trouver un apiculteur catalan, Michel Baracetti, féru sur les plantes méditerranéennes et qui suivait les cours, à l’université de Perpignan, de la célèbre botaniste, Monique Balayer.
Je ne pouvais pas trouver meilleur guide qui renseignerait les visiteurs de la Clape mais qui, d’abord et surtout, m’offrirait, à chaque herborisation, une efficace leçon pratique. C’est pendant ces parcours botaniques que naquit le projet de : « Plantes à histoires, racontées par un apiculteur » , pris en compte par la R.F.A. et son président le docteur Bonimond . Mon compagnon Michel Baracetti, excellent dessinateur botaniste, assura l’illustration de chacune des plantes commentées.Avec la publication de « Plantes à histoires » c’étaient les premières manifestations de mon désir de propager l’enthousiasme né de mon contact avec le monde des plantes sauvages. C’était comme une conversion, mais avant même de bien connaître les éléments de cette foi nouvelle je m’en faisais le propagandiste comme ces nouveaux baptisés dont les arguments les plus probants de leurs nouvelles convictions auprès des profanes est le zèle qu’ils mettent à propager leur foi.
Il est vrai que je ne m’adressais, dans cet ouvrage, qu’à des apiculteurs qui, d’après moi, ne s’intéressaient surtout qu’au rendement en miel de leurs ruches alors qu’ils ignoraient, pour la plupart, les genres et les espèces des plantes qui les entouraient. Il fallait d’abord leur faire prendre conscience que la flore, quoique extérieure à leurs ruches, était un élément essentiel dont il fallait prendre conscience, qu’il était nécessaire d’identifier, d’évaluer, d’estimer et aussi d’aimer. Un bon apiculteur ne peut dissocier son amour pour les abeilles de son amour pour la flore.

Première édition de "Plantes Sauvages à histoire"

A l’intérieur des syndicats apicoles se trouvaient de nombreux spécialistes qui conseillaient sur les races d’abeilles et la valeur des essaims, sur le type des ruches, des cadres et des feuilles de cire gaufrée à utiliser, sur les ennemis des colonies, sur les symptômes des maladies, sur les méthodes de changement de reines mais surtout sur les meilleurs moyens de garnir de miel les hausses, bref, ils se souciaient de tout sauf de cette partie, pourtant primordiale, mais, il est vrai, hors de la ruche, son environnement .
C’est pour cette raison d’ailleurs que néophytes dans la profession, l’adhérent inconnu de la Côte d’or et moi-même avions réclamé au président de l’Union Nationale de l’Apiculture d’ouvrir dans leur revue une chronique sur la flore.
Missionnaires mal dégrossis d’un enseignement à répandre, nous étions déjà convaincus d’une chose que la botanique provoquait chez la plupart un rejet instinctif de cette discipline. Il est vrai qu’à l’école les maîtres avaient dispensé souvent un enseignement assez rebutant. Il s’agissait donc, à priori, d’outrepasser cet ostracisme et que les notions sur la flore se fassent accepter.
Je me suis rappelé la manière dont mon ami Henry de Julliot m’avait initié à l’approche des plantes sauvages lors de nos promenades dans les campagnes picardes. J’étais encore émerveillé de certaines lectures dont les auteurs, par l’enchantement de leur style, m’avaient fait apparaître les plantes dans une autre dimension que celle où je les avais abordées jusqu’ici. Mais surtout je me souvenais de toutes celles qui demeuraient dans ma mémoire à cause des anecdotes dans lesquelles elles étaient enchâssées.
Quand j’étais tout jeune enfant, alors que le matin j’étais à peine éveillé, ma mère m’obligeait parfois à absorber une cuillerée d’huile de foie de morue. A peine avait-elle introduit dans ma bouche ce breuvage d’amertume qu’elle y glissait, en même temps, un quartier d’orange.. Ces « quartiers d’orange » seraient pour chacune des différentes plantes à présenter la ou les « histoires » qui rendraient la potion moins amère.
Malgré mon manque de compétence suffisante dans la science botanique, je finis par passer pour un spécialiste averti mais parfois, cependant, les carences se manifestaient aux plus avertis. C’est ainsi qu’un jour, après une séance d’exhortation à la découverte de la flore devant un auditoire d’apiculteurs qui semblaient médusés, un auditeur, professeur de Sciences Naturelles, étonné de l’enthousiasme provoqué par ma communication, déclara, en catimini à son voisin : « Au royaume des aveugles les borgnes sont rois. ». C’était vrai mais mieux vaut conquérir un auditoire avec un oeil en moins que d’être incapable de captiver avec ses deux yeux.
Mon but n’était pas tellement d’enseigner mais de séduire et les différents chapitres de « Plantes à histoires »ont essayé de s’y employer.Ainsi plutôt que de présenter la bruyère en décortiquant chacune de ses parties comme le fait la Systématique -et qui, il faut l’avouer, est la manière la plus fiable et la plus efficace d’identifier une plante - je préfère une approche moins rigoureuse mais plus concrète et plus sensible.
Je présentais donc la bruyère d’hier qui était tellement signe de richesse qu’elle paraissait dans les actes notariaux tandis que la bruyère d’aujourd’hui, loin d’être un bien appréciable, est devenu, au contraire, signe de pauvreté.
Ce retournement de situation qui est spectaculaire se retrouve également dans le sarrasin qui, autrefois, était à l’origine du pain noir et qui accompagnait le malheur, évoque maintenant la galette bretonne, plutôt symbole de festivités.Pour mieux illustrer la marronnier d’Inde et attirer l’attention des apiculteurs sur lui je le présentais d’abord comme un arbre qui se met au service des abeilles. Quand sa fleur est jeune et donc exploitable elle se colore en jaune sur fond blanc, c’est la couleur la plus engageante et la mieux perçue par les abeilles. Dès qu’elle vieillit et que les réserves de nectar s’épuisent la fleur vire à l’orange puis au rouge, teinte qui n’a sur la butineuse aucune attraction.
Cette prévenance va encore plus loin. Au cas où les insectes affairés ne percevraient pas la couleur, la fleur émet une odeur particulière pendant la présence du nectar et elle change de parfum dès l’épuisement du précieux liquide. On ne peut pas être plus généreux ni aussi complaisant.
Pour que l’image du marronnier d’Inde frappe davantage l’attention j’ai voulu l’associer à la grande Histoire.
Un certain marronnier, au jardin des Tuileries, dans les années qui suivirent immédiatement les horreurs de la Révolution, fleurissait annuellement dans la deuxième quinzaine de mars alors que les flores françaises signalent le fleurissement de cette espèce en avril ou mai. C’est que cet arbre avait été le témoin de scènes dramatiques, celle de l’arrestation du roi puis celle de la reine et surtout du massacre, par les révolutionnaires, de la garde rapprochée du couple royal. C’est pour cette raison que ce marronnier s’appelait : « l’Arbre des Suisses ». Les royalistes disaient que Dieu fleurissait, de cette manière inattendue , la tombe des martyrs à qui on avait refusé la sépulture chrétienne.
Mais, à cette époque, les régimes se succédaient à une cadence accélérée. Après la dictature des chefs de la Terreur et du Directoire, le prestigieux Napoléon régna mais ,à sa chute, Louis XVIII monta sur le trône. Peu de temps, il est vrai, car l’empereur déchu, de retour de l’île d’Elbe, faisait une marche triomphale en direction de Paris alors que le marronnier royaliste, « l’Arbre des Suisses » était prêt comme les années précédentes, à fleurir. Le 19 mars, Napoléon était aux portes de Paris et le 20 mars il rentrait aux Tuileries, alors que les Parisiens l’acclamaient avec enthousiasme.
L’arbre royaliste, en fleurissant encore plus tôt voulait-il être le dernier à consoler le roi, menacé de déchoir à son tour ? Certainement pas, car le vent avait tourné.. Du coup « l’Arbres des Suisses » était débaptisé pour devenir, en l’honneur du retour de l’Empereur: « l’Arbre du 20 mars ».
Cent jours plus tard, Louis XVIII revient aux Tuileries et Napoléon repart. Le « Marronnier du 20 mars », toujours fleuri, se trouve rangé dans l’opposition.
Dans ces rapides alternatives du sort, s’il y bien un héros dans cette histoire, c’est le Marronnier qui, lui, du moins, fleurit imperturbablement et qui, probablement, prendra une place de choix, ce que je souhaite, dans la mémoire des apiculteurs. D’autant plus que la légende veut que chaque année, désormais, réapparaîtrait , à cet endroit, un essaim d’abeilles qui confirmeraient leur attachement au marronnier précoce et à Napoléon qui les avaient adoptées comme emblème.
En ces mêmes temps - 1984 - je fis la connaissance de Marcelle Conrad, la grande spécialiste de la flore corse lors d’un voyage estival dans l’Ile de Beauté. Elle était en train de mettre une dernière main à une flore qu’elle illustrait elle-même. Malgré ses 90 ans elle continuait d’entretenir avec ses collègues du monde entier une correspondance régulière, écrite de sa main avec les anciennes plumes dites : « Sergent Major » . Elle eut la gentillesse de préfacer : « Plantes à histoires » dans l’originalité de son graphisme si particulier.
C’est ici l’occasion de lire le résumé des 325 pages que la célèbre botaniste fit de mon ouvrage :
« Vous ne sauriez croire combien de particularités surprenantes, d’étranges et aimables secrets peuvent être révélés sur les plantes dans cet ouvrage ! Il enchantera non seulement les amis du monde végétal et de ses précieuses alliées les abeilles, mais tous ses lecteurs...il vous fera oublier pendant quelques heures vos ennuis personnels et les malheurs présents et futurs de la planète !
Dès son avant-propos, l’auteur, explorateur enthousiaste de son jardin familial , vous fera partager ses émerveillements devant l’étonnante beauté d’humbles fleurs sauvages qui se maintiennent ça et là...en fraude... Parmi elles, bien sûr, se trouvent quelques « plantes à histoires » tel le charitable « Cabaret des oiseaux »...et des abeilles...C’est donc bien volontiers que vous admettrez - et partagerez - la grande indulgence de jean Hannoteaux pour certaines espèces jugées souvent avec trop de rigueur et trop vite qualifiées de « mauvaises herbes ».Dans nos campagnes, ces indésirées ont été depuis fort longtemps pourchassées par l’homme...Cependant elles ne sont pas disparues; cet acharnement à vivre n’est-il pas émouvant et surprenant ? Comme dans votre étonnement se glissera, peut-être à votre insu , une certaine admiration, vous serez vite convaincu que peu nombreuses sont dans ce jardin de Toulouse, et bien certainement ailleurs, les espèces du pays qui sont vraiment nuisibles. Ce ne sont pas les charmantes petites Véroniques de Perse si précoces, ni tant d’autres ! Sur les quelles la plupart des passants marchent sans leur accorder le moindre regard ! La beauté de ces minuscules corolles mérite bien d’avoir un chantre depuis si longtemps qu’elles font confiance à la vie et qu’elles continuent, malgré des persécutions légitimes - mais imméritées - à annoncer chaque année que l’hiver, parfois si rude, est enfin terminé !
Mais Jean Hannoteaux peut aussi se montrer sévère et aiguise sa plume lorsqu’il s’agit de l’invasion, un peu partout en France, de certaines étrangères vraiment trop nombreuses : leur humeur voyageuse, par de multiples et mystérieux chemins, a fait atterrir chez nous leurs semences ou même de diaboliques bulbilles...les plantes qui en sont nées tentent d’évincer les espèces autochtones et souvent y parviennent car, hors de chez elles, de ces « pays du bout du monde » elles deviennent rapidement de véritables pestes, prolifèrent à un point inimaginables. Or ces « innombrables » sont presque toujours des « bonnes à rien », incapables même d’offrir le moindre grain de pollen ou une goutte de nectar aux abeilles !..Tandis que vous, heureux lecteurs, à chaque page, vous vous régalerez, grâce à de savoureuses histoires du « miel de l’esprit »
Fort agréable aussi sera pour vous le pouvoir évocateur d’habiles descriptions : Si un certain buisson donne à Jean Hannoteaux l’impression d’assister à la création du monde, le parfum d’un mystérieux chèvrefeuille, par le pouvoir des mots, semblera soudain arriver jusqu’à vous-même, au coeur de l’hiver !

Vous suivrez le pertinent conseil de vous procurer - si vous ne l’avez déjà - « la petite loupe du botaniste ».Grâce à elle, il vous sera possible d’entrer dans l’intimité des plantes, de voir, entre autres, les différences offertes par de voltigeantes aigrettes ou de vous convaincre que les fées de jadis n’étaient sûrement pas vêtues de tissus aussi éblouissants
que ceux dont sont faits d’humbles petits pétales ! La réalité, ici, dépasse la fiction ! Mais il n’y a pas que la beauté ! Des louanges méritées sont dédiées à des plantes qui, à première vue, paraissent peu sympathiques tels les « abominables ronciers » à l’inquiétant pouvoir colonisateur : leurs nombreuses fleurs, bourdonnantes d’abeilles ne vous promettent-elles pas de « savoureuses » gourmandises tandis que leurs feuilles peuvent être bénéfiques, sans rancune , pour leurs ennemis ?
A quels chapitres iront vos préférences ? Seraient-ce à ceux qui glorifient les chardons si méprisés et le Sarrasin si oublié ou le Pissenlit si terre à terre, le Lierre, ce Mathusalem ?, ou bien les Bruyères, providence des apiculteurs ? Justice est rendue au châtaignier ; Faire souvenir de ce que fut cet arbre pour nos ancêtres - peut-être pour les grands parents de certains d’entre nous - n’est pas inutile !
Vous aimerez que l’histoire des Saules soit si joliment contée mais aussi que l’éclatante floraison du rhododendron de nos montagnes soit réhabilitée...si un soupçon de magie rôde en ces pages parmi la pourpre des fleurs, ce ne sera pas pour vous déplaire....La Bryone et l’Hellébore en seront aussi saupoudrées... Je puis vous confier que ce qui est raconté sur cette dernière est un régal ! mais on ne saura quel chapitre préférer.. en allant de Moïse à Rabelais - tout en rencontrant l’archange Gabriel - la curiosité sera de plus en plus éveillée... et chacun voudra en savoir autant sur les plantes que ...le roi Salomon ! Attirer l’attention de ceux qui, jusqu’à cette lecture étaient indifférents à ce monde végétal - sans lequel la vie ne serait pas possible sur notre planète - n’est pas le moindre mérite de cet ouvrage ! mais plus prosaïquement, chacun y trouvera son compte : les gourmands comme les romantiques, les amoureux, les étudiants comme les vieillards, les amateurs de chant grégorien.... et de bon vin! mais ne pouvant citer tous les intéressés, je pense à ceux qui, désirant retrouver l’éclat de la jeunesse cherchent à connaître le Romarin puis à l’utiliser....s’il ne lui réussit pas aussi bien qu’à la reine de Hongrie, il se pourrait qu’en contemplant un « romanissat » certains lecteurs se sentent devenir poètes ! D’autres désireront peut-être - s’ils ne les connaissent déjà - aller voir le pays où pullulent les « arbres fabuleux », ces Arbousiers dont un seul a suffi pour faire naître l’enthousiasme....Comme quoi ce livre est une « invitation au voyage! »
Ce ne sera pas seulement parce qu’ils apprécient - avec raison - le bon vin, que des lecteurs sacreront la vigne « reine des plantes à histoires » mais parce qu’il y a vraiment beaucoup à apprendre ou à rappeler sur elle ! Des citadins regretteront de ne pas avoir connu, dans leur enfance, le plaisir de faire eux-mêmes leurs jouets grâce à quelques plantes peu banales.
Parmi les particularités concernant le Marronnier d’Inde, une petite phrase évocatrice des dernières glaciations, vous fera peut-être un peu peur ? Car, on peut se dire : « dans combien de temps reviendront-elles ? » N’y pensons pas ! et admirons, entre autres merveilles, cerisiers et marronniers en fleurs quand viendra le printemps...Cependant il vous sera rappelé qu’à la splendeur du Marronnier du 20 Mars d’affreux souvenirs sont liés ! La Nature n’y était pour rien ! Heureusement, bien vite, la foule des abeilles butinant allègrement - car elles ignorent la passé - vous rendra la sérénité sans que vous ayez recours aux propriétés d’un autre arbre chanté par Schubert et Jean Hannoteaux : Le Tilleul. En résumé, bien difficile serait de dire quel est le chapitre le plus riche en étonnantes informations Les pages dédiées aux lavandes vous enchanteront avant de vous attrister tandis que le Pastel vous emmènera au mystérieux pays de cocagne...Grande sera votre surprise lorsque vous apprendrez où il se trouvait ! Les abeilles et Jean Hannoteaux le savaient !
Il vous sera enseigné quelles sont actuellement les deux mamelles de l’apiculture française puis vous aurez - pour terminer- une très bonne nouvelle : les humains qui, si souvent, font tant de mal à la Nature - dont ils dépendent - font parfois mieux qu’elle ! notamment la création de sensationnels hybrides qui se jouent des ennemis des « Plantes à histoires » tels le colza et le tournesol ! Les abeilles, bénéficiant de la science des hommes, ont ainsi d’innombrables plantes à butiner...ce qui ne manquera pas, entre autres bienfaits, de susciter des vocations d’apiculteurs....;
Merci à Jean Hannoteaux d’avoir avec tant d’art rappelé ou révélé, dans ce véritable hymne à la vie des plantes et des abeilles, les encourageants messages..si souvent ignorés ou incompris de notre vieil héritage. »

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LE LINDENBAUM DE SCHUBERT
Quelques lignes auparavant, il est question de « Plantes à histoires » et, parmi celles-ci, une belle histoire d’amour, celle du Tilleul. Cet arbre est la conjonction d’amours humaines et divines. Dans la forêt primitive, aux dernières années de l’Age d’or, vivait un couple de bûcherons tendrement unis, Philémon et Baucis, qui pressentaient que ce serait pour eux le fin de leur heureuse vie et qu’ils allaient connaître l’un après l’autre le déchirement de la mort. C’étaient deux êtres qui avaient toujours vécu dans la piété des dieux et en qui ils mettaient toute leur confiance. Alors, se concertant, un beau jour, ils tombèrent à genoux au milieu des bois et , levant les bras au ciel , prièrent ainsi : « Dieux compatissants, faites que nous ne subissions pas la destinée des autres mortels et que nous demeurions l’un et l’autre à jamais vivants ! ».
Emus d’une telle fidélité conjugale et d’une telle foi envers eux, les dieux décidèrent de satisfaire leurs désirs et l’homme fut transformé en chêne et la femme en tilleul, ce qui était, en changeant de règne, une simple sublimation de leur état respectif.

Un arbre-femme

Tilleul

Le chêne est le mâle par excellence, le vigoureux, le puissant , le protecteur ; et le tilleul , la féminité dans son charme, dans sa douceur, dans sa tendresse et, parfois aussi, dans sa faiblesse. Non pas la femme soi disant « libérée » d’aujourd’hui qui, dépossédée de ses essentielles et caractéristiques vertus se ravale souvent au dégradant niveau de la femelle mais la femme idéale d’à travers les âges, celle de la fidèle Pénélope, celle de la dame-des-pensées des troubadours, celle de l’héroïque Pucelle d’Orléans et , surtout, celle qui est bénie entre toutes les femmes, celle que toutes les nations diront bienheureuse, celle du Magnificat, la Vierge Marie.

Le tilleul, comme souvent les femmes, se signale par un parfum qui attire et captive. Le soir, au moment où les époux se rapprochent où les mères se penchent sur les berceaux, son odeur est particulièrement envoûtante.
Les Anciens avaient si bien compris la féminité du tilleul qu’ils l’avaient consacré à Vénus; cette féminité se manifeste à l’intérieur de l’arbre dans le bois, à la réputation d’être tendre et léger. Il est surtout utilisé en tabletterie et en boisellerie, on pourrait ajouter en dentellerie. Et rien ne convient mieux au luthier que la douceur et le frémissement d’une telle sensibilité
.Les femmes ont particulièrement recours au tilleul non seulement pour apaiser l’excès de leur émotivité mais aussi pour l’entretien de leur beauté. Les plus prévenantes , matin et soir, se lavent le visage à l’eau de tilleul pour satiner la peau et pour faire disparaître les éventuelles taches de rousseur ainsi que les premières rides de la maturité.
Elles ont une préférence pour la couleur originalement chlorophyllienne de ses frondaisons printanières. Aussi se trouvent elles flattées quand elles chiffonnent, autour de leur taille flexueuse ou de leur fin minois, des toilettes de cette teinte tendre dite : Vert-tilleul.

Un arbre à miel

Comme le tilleul est un arbre-femme il est aussi un arbre à miel. Celui-ci est d’une saveur rappelant le parfum de la fleur et il a une coloration mal définie, en demi-teinte. L’expression : « miel de tilleul », elle aussi, est ambiguë car les abeilles ne butinent pas que le nectar mais également un miellat sécrété par les pucerons et qui est un miel au second degré. Ce terme ne signifie pas qu’il se classe dans une moindre valeur mais que l’abeille opère sur le miellat une élaboration différente que sur le nectar. Reste ensuite au consommateur à juger de la qualité du produit suivant l’appréciation de ses papilles. Des goûts et des couleurs....
Si le tilleul a la réputation d’être mellifère , il est , en même temps accusé par les apiculteurs d’être un empoisonneur de butineuses. En effet, sous certaines frondaisons, on découvre des paquets d’abeilles mortes ou qui, endormies, peuvent difficilement réintégrer la ruche.
J.M. Pelt estime que ces abeilles sont victimes d’un nectar toxique qui les saoule et qui peut même les tuer par ce qu’on appelle aujourd’hui une overdose. Aussi émet-il l’hypothèse d’un goût pervers de certains animaux pour la drogue . Comme chez nos toxicomanes il y aurait, de la part des abeilles, une certaine attirance à butiner ce « tilleul argenté », non pas « malgré » mais « à cause » de ses effets narcotiques.
Pour ma part, j’y vois une confirmation du caractère féminin du tilleul. Ici, dans cette espèce, il figure l’image de la femme fatale qui, plus ou moins consciemment,.brûle tant d’amants à ses charmes, à la fois, irresistibles et destructeurs.

La tisane la plus consommée

La plupart connaissent la fleur du tilleul prête pour l’infusion, servie souvent avant le repos de la nuit.. Comme Marcel Proust le fit pour l’infusion du thé on pourrait décrire celle du tilleul ainsi :
« ...Le dessèchement des tiges les avaient incurvées en un précieux treillage dans les entrelacs duquel s’ouvraient les fleurs pâles, comme si un peintre les eût arrangées, les eût fait poser de la façon la plus ornementale. Les feuilles, ayant perdu ou changé leurs aspect, avaient l’air des choses les plus disparates, d’une aile transparente de mouche, de l’envers blanc d’une étiquette, d’un pétale de rose, mais qui eussent été empilées, concassées ou tressées comme dans la confection d’un nid... » C’est , sans doute, autant dans une tasse de thé que dans une tasse de tilleul que Proust trempait sa fameuse madeleine qui se gorgeait alors de tant de souvenirs.

Viens sous mon feuillage !

Pendant que je rédigeais les esquisses du chapitre sur le tilleul pour « Plantes à Histoires » j’ai allumé machinalement le poste de radio dont la commande, sur mon bureau, est à portée de main.
Pourquoi ai-je fait ce geste ? Il est rare de me distraire d’un travail sérieux en provoquant volontairement autour de moi, même les meilleurs des fonds sonores. Cet pour cette raison qu’il est difficile de considérer ce qui survint alors comme un simple effet du hasard. A peine avais-je poussé la touche du poste que fusait le célèbre lied de Franz Schubert : Lindenbaum ( le tilleul ) , que j’entendis alors en entier, pour la première fois.

Ann Brunnen vor dem Tor
Da steht ein Lindenbaum
Près d’une fontaine
Devant ma porte
Se dresse un tilleul

.Il semblait qu’en concentrant mes pensées sur cet arbre magique j’avais déclenché les harmoniques d’un symbole vivace que partagent poètes, musiciens et, particulièrement, ceux de la période romantique. Par le truchement de la radio, cette communication se matérialisait;
La musique, avec ses alternances de tons mineurs et majeurs, dessine un ciel d’automne où se succèdent l’assombrissement des nuages et la clarté blafarde d’un soleil déclinant.
Le tilleul est le confident et le témoin qui évoque des souvenirs tout à la fois heureux et malheureux. Il apparaît comme le baume souhaité pour guérir des plaies anciennes.
Chacun peut interpréter à sa guise les allusions du poème de ce lied aux appels devinés aussi dans les bruissements de la frondaison. Pour ma part elles me semblent plutôt féminines. C’est la mère qui invite son enfant à se reblottir sur son sein, c’est la quête d’un amour sans réponses ou le glas de la trahison d’un coeur infidèle. C’est surtout une invitation à l’apaisement de l’âme. « Reviens sous mon feuillage,reviens, tu trouveras ici le repos. »
Personne, depuis trois ans que je connus ce phénomène, ne peut m ‘expliquer la concordance de cette suite d’événements. Maintenant que je reviens sur ce passé, je m’interroge à nouveau et j’en reste toujours étonné.
En relisant plus attentivement le chapitre sur le tilleul de Jacques Brosse ( Les arbres en France ) je remarque que dans la très haute Antiquité le tilleul fut considéré comme « oraculaire ». Hérodote rapporte que chez les Scythes, des hommes-femmes, les Enarées, en roulant et déroulant autour de leurs doigts, de l’écorce de tilleul, avaient le pouvoir de prédire l’avenir. Et Jacques Brosse affirme que ces Enarées étaient des chamans dont l’effémination les mettait en rapport avec le tilleul, l’arbre féminin par excellence. Comme les chamans actuels se servent encore d’un arbre comme interlocuteur entre eux et les « esprits » ( ceux de l’avenir ou du passé ), par l’intermédiaire du tilleul, n’ai-je pas inconsciemment déclenché, grâce au truchement des ondes radio, la plus sublime image sonore de cet arbre qu’est le lied de Schubert?

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LE JARDIN DE J.H. FABRE
Le milieu de cette « Longue histoire » de botaniste amator s’ouvre pour moi comme une large allée d’honneur qui mène et m’invite à descendre dans un jardin, non pas, certes, dans un de ceux des cheminots , d’une propreté presque chimique, que, enfant, je visitais en compagnie de mon père mais plutôt dans un de ceux où « les rossignols parlent en latin » et qui rappellent celui des origines dont nous gardons la nostalgie.
Une vieille amie d’enfance qui, comme moi, a, depuis longtemps, quitté sa septentrionale Thiérache pour se nicher en Avignonais, me propose annuellement une promenade dans sa région d’adoption. C’est ainsi qu’un jour, après la visite d’Orange la romaine, nous avons poussé, une quinzaine de kilomètres au nord-est, jusqu’à Sérignan-du-Comtat où subsiste, du grand entomologiste J.H. Fabre, sa propriété de Harmas, transformée en musée.
Ce jour-là, mon amie, ma femme et moi étions les seuls à sonner à la porte de la clôture et à être accueillis par le conservateur. Après avoir longé une allée d’arbustes, de massifs de fleurs et d’urnes débordantes de plantes grasses, nous pénétrâmes dans ce modeste musée qui garde encore l’intimité d’un intérieur habité. D’ailleurs traînent encore sur les tables le chapeau, la canne et la boîte à herboriser de l’ancien maître des lieux.
Sous les yeux des visiteurs, un volumineux herbier est ouvert, tandis que la collection des autres albums de plantes séchées ceinture, en partie, sur les plus hauts rayonnages, les trente quatre mètres du pourtour de la pièce.

Le jardin de Jean henri Fabre

Fabre est un entomologiste réputé, certes, mais il ne faut pas oublier qu’il devrait être encore plus célèbre comme botaniste. Son herbier en témoigne, il étudia dans les moindres détails au moins 4900 plantes de France et de Corse.
Sa minutie est bien symbolisée ici, derrière les vitrines de cette pièce-musée où s’alignent en rangs serrés les plus minuscules coquillages dont certainement chacun a captivé, pendant des jours, sa curiosité. Sortant de cette maison-musée, on comprend qu’on soit un peu abasourdi de tant de révélations et qu’on ne demande plus ni à en entendre ni à en voir davantage. Le conservateur prend congé de ses hôtes et les abandonne en déclarant : « Vous pouvez terminer la visite en parcourant le jardin qui est une création de l’ancien maître des lieux. »
Sans doute, beaucoup de visiteurs, pressés de courir à d’autres curiosités, ne répondent pas à cette proposition et ne sauront pas qu’ils passent à côté d’un de ces jardins qui rappellent plus que d’autres l’image obscure mais obsédante de l’Eden perdu. On se demande s’il n’est pas meilleur qu’il soit à l’abri des grands tapages publicitaires et qu’il se laisse uniquement découvrir par les amoureux de la nature, les fervents du silence et de la contemplation. Le terme de Harmas a une histoire. Lorsque Jean-Henri Fabre décida de se retirer dans le Vaucluse et qu’il eût trouvé à Sérignan -du-Comtat, la propriété de son choix, il baptisa ce lieu apparemment peu hospitalier de ce nom provençal de Harmas qui signifie : terre aride. Fabre n’était pas le seul à vouloir rendre luxuriant un désert. Charlemagne, dit-on, lors de son passage dans la vallée de l’Orbieu, s’était arrêté dans une agglomération appelée : « La Maigre » à cause des pauvres ressources de ce pays de garrigues. Emu de cette triste situation, l’empereur décida que désormais cette petite bourgade serait appelée : « La Grasse » et il y implanta une abbaye pour que des moines y opèrent la transformation souhaitée.
Un autre empereur, Napoléon III, neuf siècles plus tard, au printemps de 1862, traversait le désolant paysage des marais landais de l’époque , ce qui lui rappelait cruellement le récent carnage et les ravages sur le champ de bataille de Solférino dont il fut le témoin trois ans plus tôt. Il décida alors de planter en ce lieu qu’il baptisa d’ailleurs du nom de la ville italienne, des signes de bonheur et de résurrection. Il planta, entre autres arbres, ces cerisiers d’Amérique (Cerasus serotina) qui ont prospéré et qu’on retrouve encore maintenant dans la pinède, exaltant au printemps, sur les rameaux à l’aspect hivernal, les grappes de leurs incomparables corolles, beaux symboles de la victoire de la vie sur la mort.
Jean-Henri Fabre eut certainement le même projet et, comme ceux de ses illustres prédécesseurs, celui-ci a merveilleusement réussi puisque l’Harmas est désormais un jardin qui, en le traversant, donne les signes d’une continuelle exubérance.L’entrée est discrète comme celle d’un jardin de particulier, elle est masquée par des frondaisons importantes de chêne du Liban, de platane, de sapin d’Espagne ainsi que par une haute haie de photinia qui ne permettent pas d’embrasser d’un seul regard toute la composition. Cette perception, d’ailleurs, ne semble pas tellement avoir été concertée. C’est plutôt un fouillis végétal maîtrisé et ordonnancé pour que les arbres, les arbustes, les herbacées, dans ce luxuriant et joyeux désordre, obtiennent la place que chacun a choisi et où il apparaît, au mieux de sa présence, le plus naturellement du monde.
Pour répondre aux curiosités légitimes, une étiquette discrète rappelle leur genre et leur espèce comme si, à notre passage, chaque plante chuchotait son identité, chacune essayant de fixer son nom dans notre mémoire dans une liste de plus de 500 appellations.
Nous sommes laissés à notre libre choix pour emprunter un sentier ou un autre qui, parfois, nous ramène sur nos pas mais pour notre plus grande joie. On ne se rassasie pas d’une merveille entrevue qu’il reste toujours à davantage contempler.
De même, certaines plantes, réapparaissent dans cette bouillonnante symphonie végétale comme ces leitmotives qui, suggérés, rappelés et même répétés insistent en obsession heureuse.
Un amoureux des plantes éprouve l’impression d’être entré dans un herbier vivant où se presse la collection des plantes les plus diverses et les plus prestigieuses. Pour ma part, il semblait que les sujets de mes « Plantes à histoires » s’étaient donné le mot pour se côtoyer ici, concrètement, et cette fois, « en chair et en os ». En effet, c’est ainsi que je reconnaissais celles qui ont tant lié leur propre destin à nos prospérités et à nos déclins comme la bruyère, la callune, les lavandes et le lavandin. Parmi les suspectes, je dénichais le rhododendron ferrugineux,la bryone, l’hellébore, le redoul. Je savourais au passage le goût des anis avec le fenouil et cette saveur de cacahuète de la piquante roquette. je m’étonnais qu’un des derniers immigrés envahisseurs de la région méditerranéenne, le Sénéçon du Cap, figurât déjà dans ce jardin. Naturellement je lorgnais avec complaisance sur l’élégance méridionale des hautes asperges sauvages, des romarins, des arbousiers et des cinq ou six espèces de cistes rivalisant de séduction. Je m’inclinais devant les sacralisées comme l’angélique, l’hysope, l’olivier, le buis, le figuier, le myrte. Je relevais toute la pharmacopée des médicinales comme les sauges, la guimauve, le tilleul, la rue, la digitale, les inules.
Parfois des inconnues comme le phlomis arborescent, la tomate en arbre ou quelque hibiscus étrange me surprenaient comme charme la silhouette inattendue de belles étrangères.
Ancien praticien apiculteur, je m’attardais sur ce massif d’asclépiades où j’aurais pu voir jouer le piège qui se refermerait sur une infortunée butineuse. Malgré la présence de cette plante qui, malencontreusement, peut devenir maléfique, quelle provende que ce jardin pour les abeilles où elles trouvent, à longueur d’année, les plus succulentes et les plus généreuses mellifères !
Naturellement la connaissance d’un jardin s’étire sur les quatre saisons et ne s’appréhende pas en une seule visite comme on peut le faire pour un monument.
Dans cette région méditerrannéenne ( la frontière avec l’holartique est à cinquante kilomètres au nord) , la floraison la plus variée et la plus abondante se situe surtout dans les mois d’avril à juin. C’est à cette époque que j’ai vu épanouis les cistes cotonneux, ceux à feuille de sauge, à feuille de laurier, et les robes fripées du ciste crépu. Par contre , dans la saison d’automne et de début d’hiver, l’enchantement se fera non seulement par les frondaisons versicolores des arbres et des arbustes mais aussi par l’abondance des fruits de toute taille, de toute forme, de toute couleur.
Si on aime les cocasseries, on se penchera sur les buissons d’asclépias qui révèlent leurs fruits en forme de perruche et qui se transforment ensuite en touffe de coton. La surprise la plus étonnante sera toujours la vue des arbousiers qui déploient leurs bouquets de fleurs blanches au travers desquelles fusent les notes écarlates des arbouses.


Ma dernière visite, toute récente à l’Harasse fit en pleine canicule, alors que les feux de forêt obscurcissaient, en plein jour, l’azur du ciel estival et surtout que la sécheresse menaçait les possibilités d’arrosage.
Que deviendrait un jardin sans cette eau qui nous rappelle sans cesse qu’elle est l’origine de la vie ?
L’Harmas, naturellement, souffrait déjà de cette carence mais il me semblait, dans cette dernière semaine de juillet brûlant, que j’étais réfugié dans un dernier îlot de verdure et de fraîcheur. l’Harmas devenait, plus que jamais, une oasis dans cette région victime des incendies de forêt et condamnée à l’assèchement de la végétation.
Heureusement, veille sur ces lieux privilégiés un jardinier-botaniste, chargé de l’entretien, qui est, à la fois ,le concepteur et le mainteneur de ce tohu-bohu qu’il organise à sa guise. Je m’étonnais de sa science, de son expérience et de sa gestion.
Alors que je l’observais à travers un buisson, jouant du sécateur et manœuvrant ses tuyaux d’arrosage, s’interposa l’image d’un souvenir vieux de plus d’une quarantaine d’années. J’avais eu alors la chance de posséder les reproductions de cartons de tapisserie de don Robert, de l’abbaye d’en Calcat. Le sujet de l’un d’entre eux m’avait tellement frappé que j’en ai gardé une mémoire fidèle.
Le projet de tapisserie représentait la création de l’homme, dernier fleuron du jaillissement du jardin de l’Eden. Contrastant au milieu de cette exubérance, le Créateur, solidement planté dans sa paire de sabots, ceint du large tablier bleu, à bavette, des jardiniers, avant d’insuffler la vie à l’argile de forme humaine, promenait un regard satisfait sur son ouvrage et semblait dire que cela était bel et bon.
C’est vrai, à l’Harmas, ce jour-là, je me retrouvais dans ce même jaillissement végétal que devait être celui des premiers jours du monde. Le brave jardinier-botaniste-poète et philosophe déambulant dans les allées se confondait avec l’image que don Robert se faisait du Créateur .Avant de quitter le jardin, j’étais passé devant un arbuste dont j’ignorais l’appellation. Ses rameaux au grandes feuilles composées-pennées lui donnaient un air de légèreté et même de supra-réalité. Il était couvert de bouquets de fleurs d’un jaune vif surmontées, comme autant d’aigrettes, d’étamines écarlates. Il me semblait qu’elles allaient s’envoler ou chanter. Je me penchai et lus sur l’étiquette : « Oiseau de paradis »;
Pouvais-je avoir meilleure confirmation de mes premières impressions ?

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UNE MEMORABLE SOUTENANCE DE THESE
Dans cette même année 1984, qui fut riche pour moi d’événements heureux, j’avais eu la chance, comme correspondant régulier de revues apicoles, d’être invité par le C.N.R.S. au jury d’un mémoire de maîtrise sur la flore mellifère . Le mémoire était présenté par Gérard Briane et Jean-Louis Cabrol. et avait pour titre : « Essai de cartographie des ressources mellifères du rucher de Peyrolle » . Ce rucher avait été choisi parce qu’il appartenait au chargé de recherche et qu’il se situe dans la zone des basses montagnes pyrénéennes, région où le projet initial le situait.

Le jury où participe Jean Hannoteaux

J’eus la satisfaction de voir attribuer à nos deux candidats la mention : Très bien et, surtout, de sentir chez tous les membres du jury, de tout horizon scientifique, un véritable désir de répondre au souhait présenté dans la conclusion de leur mémoire, c’est à dire une coopération interdisciplinaire de l’Université pour mieux servir la cause apicole.
Alors que depuis dix ans, je cherchais, au sein d’un syndicat apicole, le cadre permettant efficacement d’établir un inventaire de la flore mellifère, j’avais tenté d’y parvenir en créant chez les apiculteurs des « Commissions flore » mais mon dessein se perdait, chaque fois, dans les sables de la nonchalance et de l’indifférence des apiculteurs consultés. Aujourd’hui, je voyais que deux jeunes étudiants établissaient une méthode qui avait davantage de chance d’aboutir à la réalisation de mes projets.
Que sont devenus ces beaux desseins depuis que j’ai quitté le monde apicole ? je n’en sais rien mais j’y ai gagné auprès de l’un des deux étudiants, Gérard Briane, une indéfectible amitié et une collaboration assidue dans la promotion de la flore dans toutes ses dimensions. Neuf ans plus tard, j’étais à nouveau convoqué par l’université pour faire partie d’un jury , celui de la soutenance de thèse de Gérard Briane pour un doctorat de géographie : « Les ressources mellifères en Moyenne Montagne ».
19 Mars 1993 : Journée glorieuse ! . D’abord naturellement pour le candidat mais aussi pour moi qui, la veille, recevais confirmation par l’Université de mon choix pour siéger parmi les membres du Jury.
A midi j’étais invité par le professeur Bertrand, maître de la chaire de géographie à l’Université du Mirail , de me joindre aux autres membres du jury pour un repas en commun avec des commensaux bien impressionnants puisque chacun d’entre eux est un éminent universitaire et spécialiste des différentes disciplines que la thèse abordait plus ou moins dans ses argumentations. Etaient-ils tous avertis que j’étais le seul a être démuni de diplômes scolaires ? Heureusement la question ne me fut pas posée. Pour ma part j’étais conscient d’être le naïf qui est parfois invité au milieu d’un aréopage d’une même spécialité pour que ses réflexions ingénues ramènent parfois les débats au niveau du terre -à -terre de la réalité..

Une démonstration de Gérard Briane

l’après-Midi, je siégeais à la table du jury au même titre que les autres éminentes personnalités. De la place où j’avais été hissé je dominais l’assistance du public qui avait répondu aux invitations de l’Université et j’y reconnaissais des visages favorables au candidat et aussi , peut-être, de faux amis qui venaient voir si ce jeune apprenti dompteur ne serait pas mangé par les lions en cage que nous étions.
Le récipiendaire se trouvait dans l’espace ménagé entre la table du jury et les sièges du public. Avec son apparence d’adolescent timide et quelque peu apeuré il avait l’air d’un Oedipe aux prises avec une rangée de Sphinx questionneurs; il était dans l'arène, jeune et nouveau torero, qui devait tenir tête aux attaques qui le cernaient de toutes parts. C’étaient les dernières tribulations initiatiques d’un novice avant d’être admis parmi ses pairs.
A coups de démonstrations sur l’écran où défilaient ses diapositives, le candidat avait exposé le plus concrètement possible le schéma de sa thèse et avait justifié sa démarche . Restait à répondre aux questions que chacun des juges lui posait tour à tour. Une femme, plus incisive que ses collègues, s’acharna plus particulièrement sur des questions de forme mais devant des réponses claires et assurées, elle abandonna son acharnement, s’estimant, en définitive, satisfaite.
Dans ce genre d’examen, à ce stade, on peut dire que le diplôme de doctorat est acquis mais il fallait franchir une dernière épreuve qui est la plus redoutée, celle de la mention et de sa valeur que le candidat obtiendrait car son avenir d’universitaire en dépendrait.
Le jury quitta les lieux de la séance publique pour s’enfermer dans un salle annexe afin de délibérer. Nous apprîmes, par la bouche du président, l’échelle de valeur des différentes mentions et il demanda, à chacun d’entre nous, de bien vouloir communiquer notre décision personnelle.Depuis le début de cette séance solennelle j’étais un peu intimidé par le rôle qu’on m’avait demandé d’assumer et je me questionnais si, par modestie, je n’aurais pas dû me dérober à toute initiative et me contenter de faire de la figuration. Cependant devant l’agression dont était victime mon ami - me semblait-il - je me fis violence pour intervenir. En réfléchissant, je me demandais si le président du jury ne m’avait pas personnellement désigné pour faire contre- poids à tous ces dignitaires, imbus plus ou moins de leurs pouvoirs, et pour faire entendre la voix roturière des simples apiculteurs. Je me suis alors perçu comme un de ces représentants du Tiers-Etat , en 1789, qui réussirent à imposer leurs points de vue dans la séance décisive des Etats Généraux .
Le président avait déjà demandé à la brochette d’universitaires d’indiquer leurs choix sur la mention à accorder et aucune décision unanime n’avait été encore prise. Sentant que ma décision pouvait faire basculer dans le sens le plus favorable, je démontrai que la thèse du candidat était pour les apiculteurs l’aboutissement d’une longue attente de leur part au profit de leur profession. L’estimation de la valeur mellifère d’une région devenait désormais plus aisée à cause des solutions qui venaient d’être proposées. Je défendais ma cause avec une telle chaleur que je voyais mes collègues du jury presque subjugués.
Quand je déclarai que le deuxième tome de la thèse était, à mon avis, la flore de cette région des Pyrénées la plus documentée, la plus complète et aussi, grâce à ses cartes, la plus simple à utiliser, j’obtins l’unanimité des suffrages. Il n’y avait plus aucune hésitation, Gérard Briane obtenait la mention le plus honorable qu’un candidat pouvait attendre pour son doctorat.

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UN BOTANISTE- POETE
Cette même année, mes excursions d’été m’avaient amené à Mane, au Prieuré de Salagon où , pour la première fois, je découvrais un jardin-à-thème qu’a instauré l’ethnobotaniste Pierre Lieutaghi avec qui j’avais eu une relation épistolaire.

La reconnaissance du sacré dans le monde des plantes

Ces ethnobotanistes, comme Jean-Marie Pelt, sont intervenus dans le monde de la botanique pour donner à celle-ci une toute autre allure, un tout autre visage; la triste figure de cette science est devenue toute d’affabilité et de charme. Ces nouveaux venus, tout en étant férus de l’ancienne technologie et aussi de la abstraite « Systématique » ont emmené leurs lecteurs, par les détours de l’anecdote, de la mythologie, de la magie, des traditions populaires, à une connaissance plus humaine de la plante. Et, surtout, grâce à une écriture alerte, gaie, lyrique, ont rejoint le discours poétique. Déjà Maurice Maeterlinck, cet autre savant poète et philosophe , par sa vie des abeilles, celle des fourmis et des termites, avait hissé ces mystérieux insectes sociaux à la hauteur du mythe.
Je n’ai pas rencontré Pierre Lieutaghi ni à son domicile de Mane ni au Prieuré de Salagon mais je dénichais dans la boutique-librairie de ce haut-lieu un de ses nouveaux ouvrages : « La Plante Compagne. Pratique et Imaginaire de la Flore Sauvage en Europe occidentale » C’est peut-être, à l’occasion de la découverte de ce jardin de prieuré que naquit, bien souterrainement certes , l’idée de concevoir, à mon tour, un jardin-à-thème, qui ne se réalisera que 6 ans plus tard sans que j’en sois le véritable instigateur et que je considère comme l’accomplissement de ma longue carrière de botaniste amateur.
. La lecture de : « Plante Compagne » a enrichi très largement mon capital d’informations sur le monde des plantes aussi bien à l’origine des temps que dans l’actuelle modernité. Rien qu’en lisant une partie de la table des matières on ressent autant de plaisir qu’à la lecture d’un poème :
« La raison en herbe » , pour annoncer que les premiers pas de la pensée ont eu lieu dans l’herbe - « Le fils de la foudre , père des hommes » pour présenter le chêne millénaire - « Savoir de cendre » , en commençant par la production de lessive et celle des engrais chimiques - « Plantes d’air et d’âme » pour le roseau aux structures 500 fois plus longues que leur diamètre, le roseau-arme, le roseau-flûte , le roseau-calamite des scribes... » - « Les savoirs de la disette ordinaire » où le gland, par exemple a montré qu’il existe une sorte de caisse de secours sylvestre à l’usage des affamés - « Aux racines de la modernité » C’est toujours l’intermédiaire des puissances du sous-sol ( comme la mandragore ) qu’on sollicite. La racine, qui est en soi, un « objet chargé » - « L’auberge des amertumes » L’amer est une saveur fondatrice...L’amer, saveur apéritive et digestive. - « Herbes à pots, Herbes à tourtes » Reconnaissance à l’ortie brutale, au chénopode envahissant....Honneur aux laides, aux sans-fleur, aux grisâtres....elles ont veillé à la survie des hommes - « Le premier empire des signes » A plusieurs reprises il a été question d’analogies, de similitudes....gland du chêne, diurèse du bouleau,vertèbres du bambou et de la prêle, testicule de la ficaire, croc du chiendent, « Du bon et du mauvais usage des grands pouvoirs ». Ambiguë par essence, la plante vit d’un double savoir de jour et de nuit. - « Contes de la magie quotidienne » avec les protectrices, les devineresses, les guérisseuses, avec l’armoise, la verveine, le millepertuis, le lierre, le houx, la carline, la joubarbe, la santoline etc.
Avec un tel énoncé de table des matières « La Plante Compagne » met en appétit et se laisse croquer comme une gourmandise

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LE SANCTUAIRE
On appelle « sanctuaire » le lieu le plus saint du temple ou d’une église, sa partie la plus sacrée. En botanique un sanctuaire est un lieu vénérable en raison de la flore particulière qui s’y trouve à cause de sa rareté, de son comportement spécial ou d’une certaine originalité. C’est habituellement un lieu ignoré du grand public et qui n’est visité que par les initiés.

Jean Claude Courdil, botaniste mainteneur de la flore holophile
des abords de la Saline de Gruissan

Je faisais donc partie des profanes depuis ma fréquentation assez assidue de la station de Port Gruissan puisque j’ignorais la présence de celui qui se situe aux abords de la Saline de Reprise et qui longe pourtant une route assez fréquentée.
Il étend son aire de sable corrodée à la fois par la proximité des opérations salines et par le soleil qui le grille à longueur d’été comme une peau à nu. Parfois la mer voisine, dans un de ses coups de tête imprévisibles ( ses coups de mer) recouvre ces vastes étendues de sable mais, souvent, pour une courte durée. L’hiver, survient parfois du ciel un vol de flamants roses dont les grandes ailes battantes parcourent ces espaces désolés et qui, de temps en temps, posent sur elle, comme en hommage , leurs taches de vive couleur. Pour prendre conscience de ce « sanctuaire » il fallut d’abord que je rencontre un habitant du lieu, que le ciel sans doute m’a fait rencontrer car je me trouvais bien désemparé depuis le départ de la région de mon ancien mentor dans les herborisations de la Clape, Michel Baracetti.
Ma nouvelle connaissance, Jean-Claude Courdil, a pour vocation première d’être un peintre dont les œuvres se complaisent dans une vision de la nature mais toujours transcendée. Il est surtout pour moi un expert botaniste. Il doit sa connaissance de la flore et et de la faune locales à une fréquentation passionnée de plus de quarante années de la Clape , cette montagne emblématique qui domine son village. Depuis plus d’une décennie il met ses connaissances au service du public par l’intermédiaire de conférences , sorties, animations dans le cadre de l’association d’ethno-botanique qu’il préside.
C’est en sa compagnie et de celle de son association que je fis connaissance du « sanctuaire » gruissanais. Depuis plus de vingt ans que je traverse en tous sens cette station je passais bien souvent sur ses abords mais sans qu’il se produisit l’envie de l’explorer. Notre guide nous prévient d’abord qu’ici les conditions de vie, telles que nous les connaissons partout ailleurs, sont différentes et même inversées. Les rares végétaux que nous allons rencontrer ont un comportement contradictoire puisque leur condition de vie est à base de sel alors que , chez les autres , ce minéral est un élément destructeur de la vie. Comme si une catégorie d’êtres humains ne pouvaient survivre qu’en inhalant du gaz carbonique ou qu’en se nourrissant de poisons mortels. Ces végétaux sont des halophyles (du grec hals, sel) et ne peuvent aller se réfugier sur d’autres terrains privés de sel. C’est pour cette raison qu’ils subissent une réduction progressive de leur habitat devant une urbanisation de plus en plus envahissante . Ils deviennent des plantes rares.

Parmi les plus communes, les Salicornes couvrent de grandes surfaces en bordure des étangs du littoral, sur des sols mouillés pendant la plus grande partie de l’année. Elles sont les proches voisines de diverses espèces de joncs et de souchets aux tiges coriaces et souvent aiguës. Puis viennent les soudes qui ont constitué pendant longtemps un moyen de subsistance pour les populations autochtones par la collecte et l’utilisation qui en était faite dans la fabrication du verre et du savon.
j’étais particulièrement surpris que ces plantes, les soudes et les salsolas à l’aspect rébarbatif, dardées d’épines vulnérantes, découvrent parfois des fleurs aussi rutilantes que le corail.
A proximité de ces parages on rencontre d’autres plantes dont la survie ne dépend plus du sel mais qui arrivent à survivre malgré lui dans ces milieux difficiles. Il vaudrait mieux les appeler, non plus des halophyles (amoureuses du sel ) mais des halophytes (plantes s’accommodant du sel). Dans ces types se trouvent naturellement ce que l’appellation populaire nomme : les saladelles, largement récoltées et même vendues sur le marché en raison de leur aspect décoratif et de leur aptitude à composer des bouquets secs. Leur nom botanique est Limonium mais dans ce genre se trouve une espèce rare : le Limonium diffus que seul le territoire de Gruissan a le privilège d’accueillir.
Dans ces mêmes parages croît une autre halophyte, le Cakilier ou roquette de mer, une crucifère au même titre que le chou ou le radis et qui a dû, elle aussi, être consommée. Cette plante est aussi exemplaire car elle doit s’accommoder du sol salé où elle habite en accumulant dans ses feuilles et dans sa tige, charnues à souhait, de l’eau pour survivre dans les conditions difficiles de la dune. .Autre adaptation, sa racine, qui se voit obligée de se prolonger à plus de deux mètres pour aller mieux s’approvisionner en eau non saumâtre. Son nom : roquette, qui rappelle d’abord le Diplotaxis, peut évoquer celui des engins de guerre du même nom. Avant sa maturité ses siliques sont formées de deux articles comme une fusée à deux étages . Suivant l’époque d’observation on verra le corps entier non désarticulé ou simplement la première partie de l’ensemble. C’est un comportement de prudence de la part de cette plante car la semence enclose dans l’un et l’autre étage est lancée dans des temps différents.
Qu’elle soit terrienne ou marine la roquette est un feu et comme le feu, elle se propage. Dans la blanche (Diplotaxis ) elle « explose » parmi les vignes, dans la « sauvage » ou la « vraie » elle embrase le palais et enflamme les désirs; dans la « maritime » elle brûle par sa salinité. Un vrai brandon !

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LA MECQUE DES BOTANISTES
S’il y a une station botanique qui mérite le titre de « sanctuaire » c’est bien la Vallée d’Eyne qui est située à la limite des Pyrénées orientales et même du territoire français.

Aquarelle de Paul Leberger:
Le village d'Eyne ouvrant sur la vallée

Depuis qu’avec Linné le culte des végétaux s’est institué et que des groupes d’universitaires et d’amateurs éclairés se mirent à la recherche des stations les plus représentatives de la flore, il semblerait que cette Vallé d’Eyne devint très vite la Mecque des botanistes, le pèlerinage obligé que tout botaniste croyait devoir accomplir au moins une fois dans sa vie. Le branle fut donné dès le XVIIIème siècle par des célébrités comme Gouan, Bourgat et Razoul en 1767, Audanson en 1779, de Candolle en 1807. On ne pourrait actuellement citer aucun nom d’éminent botaniste qui ne soit pas venu rendre hommage à ce haut-lieu.
Les agences de voyages s’emparèrent naturellement de ce site pour tenter d’y mener leur cargaison de touristes. Heureusement le quant-à-soi des sommets pyrénéens tient à l’écart et protège la solitude de ce sanctuaire par de fréquents orages légitimement redoutés.
Pour ma part il y a longtemps que j’avais projeté d’aller dans cette vallée de Cerdagne. La guigne a voulu qu’à chaque tentative j’avais été empêché de l’approcher à cause des mauvaises conditions atmosphériques, aussi me demandais-je si je ne devais pas renoncer simplement à ce projet. Or, ces derniers mois, je reçus de la part de deux jeunes botanistes amis, dont le récent docteur Gérard Briane, l’invitation de les accompagner pour leur premier voyage dans cette vallée. Dans cette année 1997, la date du 20 juin avait été retenue, comme correspondant à une des meilleures périodes pour une herborisation en Haute- Montagne, mais les premières semaines de juin avaient été particulièrement pluvieuses sur tout le sud de la France, ce qui ne présageait pas un temps idéal pour la date prévue.
Par précaution, la veille , je téléphonais à plusieurs stations météo de la région et c’est en raison de l’incertitude répétée des informations reçues de ces différentes stations que je conçois mieux, peut-être désormais, les raisons de l’exceptionnelle richesse botanique de cette vallée d’Eyne. Un des météorologues m’avouait : « Il nous est difficile de prévoir, même à très court terme, des prévisions valables sur cette partie de la Cerdagne car la Vallée d’Eyne est à la jonction de l’influence de la Méditerranée et de celle de la Haute- Montagne ».
C‘est justement à cause d’une position presque similaire ( jonction des deux influences méditerranéenne et océanique ) que le massif de l’Alaric est considéré, lui aussi, comme un des lieux des plus riches pour la variété des espèces végétales et aussi pour la découverte des plantes rares.
Malgré le manque de fiables prévisions météo, mes deux jeunes compagnons et moi-même décidâmes de franchir, au petit matin, les deux cents kilomètres qui, de Toulouse,nous tenaient éloignés de la Vallée d’Eyne.
En abordant le village, nous entrâmes dans la fruste mairie où se tient le modeste Centre de Renseignements des lieux. Nous apprîmes que le gardien de la réserve n’était autre que Michel Baracetti ,mon premier guide dans la Clape, il y a une huitaine d’années. Nous ne pouvions pas le saluer , étant momentanément absent mais nous l’aurions félicité qu’un lieu aussi éminent lui soit confié.
Avant de prendre notre route, nous demandâmes à la secrétaire de la Réserve son avis sur la probabilité du temps de la journée : « Vous allez sans doute trouver le froid, dit-elle, et, le soir, vous risquez de voir arriver la grêle ou la neige. » Habitués aux imprécisions de la météorologie locale nous ne tînmes pas compte de ces fâcheuses prévisions. Bien nous en prit, car cette journée du 20 juin fut peut-être la seule du mois qui connut une température aussi douce et un ciel aussi uniformément radieux.
Nous ne faisions pas trois pas de part et d’autre du sentier que nous nous faisions arrêtés par une plante dont l’aspect nous surprenait ou qui nous intriguait. Le plus averti des trois, le docteur Gérard Briane, maintenant professeur à l’université de Toulouse le Mirail, nous présentait, s’il le fallait, l’inconnue. Cettte fois-ci, c’était la vesce faux-sainfoin, Vicia pyreanica. Pour ma part, j’aurais préféré que nous tombions sur la vesce des Pyrénées, Vicia pyreanica, qui est signalée sur le dépliant qui nous avait été remis à l’entrée, parmi les trois plantes des plus typiques de la Réserve. Par contre nous avons pu repérer cette autre rareté, le pigamon à feuille d’ancolie,Thalictrum aquilegifolium. Il est vrai que c’est une petite merveille, assez haute, avec un feuillage large et découpé et portant des grappes de fleurs aux étamines roses ou pourprées Elle a reçu dans le langage populaire l’appellation de Colombine panachée ou plumacée.
Le plus jeune d’entre nous se charge habituellement, dans nos herborisations,de relever par écrit chaque plante rencontrée. Rien qu’à l’aller, sur ce parcours de 6 à 8 kilomètres, son relevé compta plus de 100 genres et espèces différents en bordure du sentier. Pour ma part, je me laissais plutôt impressionner par l’abondance de certaines stations comme celles du géranium des bois,Geranium silvaticum, aux fleurs rose violacée. Nous nous trouvions à la date idéale de sa floraison et nous entendions au dessus d’elles le bourdonnement joyeux des butineuses.
A cette altitude, nous étions à environ 1800 mètres, dans ce qu’on appelle la « zone des rhododendrons » et découvrions alors le le rhododendron ferrugineux, R. ferrugineum. Tantôt, nous côtoyions de larges nappes d’éclatante couleur rouge, survolées d’abeilles, tantôt sur les rives escarpées de la vallée, nous les découvrions accrochées aux roches en à-pic vertigineux, depuis les sommets jusqu’aux berges de la rivière qui se retrouve, par endroits, très encaissée.
Ces tapisseries de rosage sont parfois piquées de l’un ou l’autre des trois lis aristocratiques de la montagne et qui en sont une des plus belles gloires : le lis Martagon,Lilium Martagon, dont les longs pétales retournés lui font un diadème d’améthystes., le lis des Pyrénéees, Lilium Pyreanicum, un autre prince dont les joyaux de sa couronne sont d’or tachés de points noirs. Le lis de Saint Bruno est un faux lis, mais il rappelle davantage celui de nos jardins par son incomparable blancheur. Les hasard dû au nom du botaniste, inventeur de cette plante, le fait désigner par l’appellation de Paradisia Liliastrum. Pouvait-on imaginer pour lui un titre qui saurait mieux le décrire ou du moins évoquer le lieu qu’il mérite ?
De temps à autre, au dessus de la moyenne végétation, apparaissait, tel le glorieux panache blanc du roi Henri, celui de la renouée des Alpes,Polygonum alpinum, qui nous faisait signe tout le long de notre parcours. Cette fleur de montagne est rare en France. Bonnier signale nommément la vallée d’Eyne comme un des lieux exceptionnels où elle se complaît.
De toutes les fleurs rencontrées, je dois avouer que mon coup de coeur fut surtout pour l’anémone soufrée,A.sulfurea, une sous-espèce de l’A. alpina , qui, à sa qualité de rareté, ajoute celle de la couleur la plus tendre de ses pétales : un jaune soufre si diaphane qu’on n’ose le toucher, même du bout du doigt, tellement il semble aussi impalpable que la lumière. Dès le départ , nous nous étions donnés comme but principal de l’expédition de découvrir l’adonis des Pyrénées, Adonis pyrenaica , qui, en principe, se tient, entre 1300 et 2400 mètres d’altitude, c’est à dire au plus haut de notre parcours botanique. C’était notre pari et nous nous demandions si, dans le temps imparti, nous pourrions l’atteindre. On en parlait de temps en temps pendant la marche , tiré par le désir de conquérir ce mystérieux trésor lointain et, pour moi, difficilement accessible.
Nous étions parvenus au-delà de l’altitude 2000 et mes deux jeunes compagnons se rendaient compte que je donnais peut-être des signes de fatigue, dus à mon âge. Ils me proposèrent de continuer seuls et m’invitèrent à redescendre.
En réalité je ne me sentais pas épuisé mais je devinais qu’un effort plus soutenu me serait difficile, aussi fis-je demi-tour volontiers vers notre point de départ. La facilité de la descente me redonna du courage et je sautais de rocher en rocher avec une certaine allégresse. Cependant quand, arrivé à l’endroit du sentier qui me permettait de découvrir la distance qui me restait à parcourir, je me sentis de plus en plus las et dus forcer pour parvenir à notre point de départ.
Avant même d’ouvrir la porte de la voiture, j’éprouvai le besoin de m’allonger dans l’herbe du terre-plein de tout mon long et c’est alors que, pendant quelque temps, j’ai cru perdre connaissance . Ce qui confirme cette impression c’est que, réveillé, de ce « profond sommeil », je mis quelque temps à situer mon environnement. Heureusement, au même moment,survenaient mes compagnons qui m’annonçaient avoir pu découvrir le désiré Adonis des Pyrénées.
Naturellement il ne le portait pas triomphalement au bout des doigts, respectueux des prescriptions affichées tout le long du parcours, mais ils avaient pu, l’un comme l’autre, le photographier à loisir. Ils me parlaient de leur conquête avec une certaine fierté et, en les écoutant, je pensais entendre les mythiques Argonautes qui, après de longues errances, avaient mis la main, enfin, sur l’introuvable « Toison d’or ».
Nous partîmes aussitôt, franchissant les 200 kilomètres pour regagner Toulouse, en rappelant tout le long du voyage, les événements qui avaient jalonné la journée, refaisant l’inventaire des nombreuses plantes que nous avions pu identifier.
Deux jours après, j’évoquais seul ces mêmes souvenirs mais, cette fois, sur le lit de soins intensifs d’une clinique toulousaine, ligoté comme un Gulliver chez les Liliputiens par tout un réseau de cordages issus d’une ampoule de perfusion, par ceux d’une lecture électronique de tensiomètre, par ceux d’un compteur de globules rouges et par je ne sais plus quels appareils d’examen médical
Une des raisons de cette situation c’est qu’un S.A.M.U., alerté la nuit précédente à cause d’un malaise survenu, m’avait transporté dans cette clinique de soins pour qu’en soient analysées les raisons. Naturellement était incriminée, en premier chef, ma téméraire ascension montagnarde de l’avant-veille.
Je me plaisais alors à comparer mon allongement sur ce lit d’hôpital avec celui sur l’herbe du terre-plein, au bas de la vallée d’Eyne. Je me disais que, si je devais me trouver à l’issue de mon existence et si j’avais pu faire un choix, j’aurais préféré, à ces deux allongements, le précédent. j’étais alors enfoncé dans une herbe épaisse et odorante qui me bordait, le vent frais de l’altitude me caressait du bout des doigts, le silence n’était habité que par le gazouillis des oiseaux et un lointain bourdonnement d’abeilles, alors que le soleil vespéral me couvrait de sa douce tiédeur.
Pour un botaniste- amateur mieux valait quitter l’existence dans de telles circonstances, si l’heure était sonnée, aboutissant en un lieu aussi choisi que celui-ci, dans cette vallée d’Eyne où depuis si longtemps j’aspirais à me rendre. Heureux destin que d’aborder un des possibles rivages de l’Eden perdu ou la porte du paradis désiré !

LES TOURS DE MANHATTAN
14 septembre
Puisque, au cours de cette histoire, j’ai adopté le rythme de l’éphéméride je ne peux pas passer sous silence l’événement majeur de cette semaine, l’attaque de terroristes qui ont mis à bas le symbole de puissance et de supériorité de l’Amérique, les deux tours de Manhattan et, du même coup, endeuillé New-York de plusieurs milliers de morts.
Quand j’ai vu les premières images de la télévision j’ai eu l’impression de voir la malédiction qui, au temps de la Genèse, s’était abattue sur la tour de Babel. Aucun commentateur, jusqu’ici, n’a osé faire ce rapprochement et pourtant j’y trouve beaucoup de similitude. Lorsque l’orgueil humain se manifeste d’une façon aussi insolente il y a une expression qui la stigmatise, exprimant qu’une telle attittude défie le ciel. Depuis des décennies la misère du Tiers Monde creuse de plus en plus sa différence avec l’opulence des Etats-Unis et tout récemment son alliance étroite avec le riche Israël exaspère la misérable Palestine.
Pour reprendre une autre référence biblique à ce sujet, cet énorme et tragique événement me fait penser aussi à l’invincibilité du géant Goliath qu’un simple caillou lancé d’une fronde de berger réussit à terrasser et, actuellement, l’invulnérabilité des deux grandes tours glorieuses de New-York, entourées d’un réseau serré de protection qui ont été détruites par une petite poignée de terroristes armés uniquement de cutters et de couteaux en plastique. Quelle leçon d’humilité qui nous oblige à constater la fragilité de nos assurances ! Quelle leçon aussi pour moi et ma pitoyable histoire d’amour qui, comparée à des événements d’une résonance mondiale, peut apparaître insignifiante ! Peut-être mais, demain, chacun oubliera ces tragiques images du monde et n’aura d’attention et de considération que pour son minuscule destin. Au regard des grands événements nous sommes à la taille des fourmis qui à chaque catastrophe - qui est souvent produite par nos pas écrasant leurs nids - ne s’abandonnent pas au découragement et reprennent le cours de leurs travaux mais avec le même espoir et le même entêtement de réussir aussi bien pour leurs gigantesques constructions que pour les minuscules
Pour ma part, je vois, tous ces temps-ci, mes projets s’effondrer comme les fragiles ouvrages des fourmis. J’avais reçu communication du maire que l’inauguration officielle du jardin se ferait le 20 octobre prochain et le communiqué ajoutait même cette précision dans le temps, à 16 heures 30. Or voici qu’une rectification, venant du même service, m’annonce que cette date est annulée et que l’inauguration n’aura lieu ....qu’au printemps 2002 et, cette fois, sans autre précision.
Je m’emploie toujours à obtenir une distribution de notre album-guide du jardin par l’intermédiaire de son voisin, le musée des Abattoirs. Mercredi dernier je me suis rendu chez Marie Déqué, adjointe au maire et déléguée à ce même musée, avec qui j’avais eu la chance de sympathiser, espérant que cette personne pourrait, par sa propre autorité, briser l’empêchement juridique de commercialiser cette brochure..Elle était réduite, elle aussi, à la distribuer gratuitement. Dans ce cas quelle étrange position que celle de l’Office du tourisme qui la propose au prix de 40 francs !
J’écris ces lignes dans ma résidence secondaire de Gruissan où je suis venu pour participer samedi prochain à l’herborisation de Jean-Claude Courdil. Par la même occasion, je me suis rendu chez mon ami jean Poudou de Lagrasse, pour lui demander de me fournir deux plantes manquantes au jardin-à-thème et qu’on ne peut acquérir facilement que dans cette région. En raison de la sécheresse qui perdure depuis plusieurs mois il n’est pas question d’envisager de transplantation.

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L’EXPLOSION DE A.Z.F.
24 septembre 2001
Décidément nous sommes au temps des catastrophes. Ce dernier vendredi 21 septembre, à 10 h. 15 une explosion émanant de la grande usine chimique de Toulouse, l’A.Z.F., ravageait un quartier de Toulouse sur un rayon de plus de 10 kilomètres. Heureusement « la Roseraie », où j’habite, est au delà de cette distance, elle fut quand même ébranlée par la puissance du souffle. Cependant mon indispensable associé et ami , Gérard Briane, a subi les méfaits de cette explosion. En effet l’université du Mirail n’est éloignée de l’usine en question que de 2 kilomètres et la salle où étaient réunis, ce matin, les professeurs, a reçu le choc destructeur du souffle de l’explosion. Grâce à Dieu, Gérard Briane en a été quitte pour une grande frayeur..

Les mésaventures de la Chimie

Naturellement, à la suite d’un sinistre de cette importance tous les services nationaux, régionaux et, plus particulièrement municipaux sont ébranlés et n’ont plus d’autres soucis que d’enterrer la trentaine de morts, de soigner le millier de blessés, de reloger les sans-abri et de gérer l’urgence.
Alors qu’à New-York on pouvait voir dans les hautes tours de Manhattan une manifestation de l’incomparable richesse américaine et de son désir de domination, ici, la terrible catastrophe de cette grande usine chimique qui, quelques jours plus tard, a ravagé une partie de Toulouse, provoquait près de 30 morts et plus d’un millier de blessés , c’est, cette fois, la manifestation de la superpuissance de la Chimie. Si, jusqu’ici, elle était considérée comme l’élément essentiel et indispensable de la continuité du progrès, elle vient de montrer aujourd’hui son aspect négatif dans ses énormes capacités de nuisance. Les populations du monde moderne qui lui vouent un culte idolâtre connaissent désormais ses possibilités destructrices qui n’iront d’ailleurs qu’en s’aggravant.
Mais me direz-vous, ces considération quelque peu apocalyptiques ont-elles un rapport avec l’installation de votre jardin dont les pages précédentes évoquaient la difficile mise en place ? Certainement , puisque dans l’avant-propos du guide de ce jardin, écrit il y a déjà plusieurs mois,nous avions souligné qu’il répondait « au besoin de plus en plus manifeste du développement de l’écologie » Et l’écologie n’est elle pas la principale sauvegarde qui veut nous protéger des nuisances d’un « tout-progrès » et surtout de sa déesse moderne, nouvelle Furie, la Chimie ?Mais revenons à notre propos et à l’histoire proprement dite de notre jardin. Une coïncidence veut que soit organisée, ces jours-ci, une dernière quête de plantes de Midi-Pyrénées, introuvables en pays toulousain. Cette expédition avait déjà été prévue en mai mais elle avait été annulée par je ne sais trop quelle autorité...

Suite au Chapitre 3

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